Le complexe n’est pas compliqué

GRP Blog . 17 janvier 2020 . Informations Non classifié(e) Ressources Théorie

Dans l’épisode 1 de notre web-série, que je vous invite à visionner (ici), nous expliquons que l’expression « Business Model » est pleine de bon sens. Notamment, en disant que pour faire comprendre des objets de connaissance, celui qui diffuse le savoir est conduit à mobiliser des modèles. Un modèle, ça sert à faire comprendre ce qui est complexe ! Or, un business c’est complexe, et certains plus de d’autres, d’où l’utilité (voire la nécessité) de les modéliser. Pour que l’interlocuteur (souvent un partenaire potentiel) adhère au projet, encore faut-il qu’il le comprenne. Le porteur de ce projet, aidé par son conseiller, modélisera son business pour le rendre accessible.

Les formes pour modéliser les objets de connaissance quels qu’ils soient sont nombreuses (mathématique, graphique, narrative, …). Concernant le business, GRP Lab en propose deux : la carte mentale et la narration. La seconde forme a fait l’objet d’un développement informatique (GRP Storyteller) pour inciter l’entrepreneur, aidé par son conseiller, à raconter en 9 phrases (mode Poster), en 9 paragraphes (mode Storyboard) et/ou en 9 pages (mode Script) son business (relire le billet sur le storytelling). La première a fait l’objet de cas mis en ligne dans la rubrique GRP Stories.

Pour ce billet, je vous propose un petit rappel théorique, parce que rendre intelligible le complexe est une des missions de la « systémique ».

La systémique est une façon de regarder le monde, ou plutôt les systèmes qui le composent, autant dans leur globalité que dans ce qui les dynamise. Elle influence la méthode à mettre en oeuvre pour comprendre ce monde et ses objets. Dans le contexte d’un business étudié par un observateur, cette perspective montre qu’il n’est pas nécessaire de comprendre tous les détails de ce business pour le trouver pertinent et croire en son potentiel.

Le monde est composé d’une multitude de systèmes plus ou moins vastes (un ordinateur, un corps humain, un laboratoire de recherche, un système solaire, … un business). Autrement dit, qu’il s’agisse d’étudier l’infiniment petit ou l’infiniment grand, l’observateur est placé face à des systèmes qu’il tente de comprendre, pour, ensuite, éventuellement concevoir la façon de mieux les contrôler. La systémique a apporté un regard original, notamment en considérant que ces systèmes sont moins compliqués que complexes.

Lorsque les choses sont compliquées, il faut les simplifier. Cette simplification consiste à dénombrer les éléments composant l’objet étudié, à résoudre ce que ces éléments posent comme problème, pour ensuite remonter vers l’objet plus globalement délimité afin d’en comprendre le fonctionnement. Cette méthode ne doit retenir que ce qui apparaît vrai, c’est-à-dire que les préjugés ou les opinions doivent être écartés du raisonnement pour que la mise en ordre des connaissances ainsi acquises permette, partant d’une simplification, d’expliquer l’ensemble a priori plus compliqué. Autrement dit, la résolution d’un problème compliqué consiste à le décomposer en autant de sous-problèmes possibles dont les solutions s’additionnent pour fournir la solution du plus gros problème. Ainsi, face à un problème « A » décomposable en deux problèmes « B » et « C », la résolution de ces deux derniers permet de résoudre le premier. Cette perspective est cartésienne, car elle s’appuie précisément sur le discours de la méthode de René Descartes qui comporte quatre préceptes, dont celui d’évidence, lequel conduit à la quête de la vérité.

La systémique approche les objets à comprendre selon une perspective différente (ce qui ne veut pas dire strictement opposée). Notamment, elle propose d’aborder les objets dans leur complexité, c’est-à-dire en les considérant comme des systèmes possédant des propriétés que leur décomposition ne permet pas forcément de comprendre. La méthode découlant d’une perspective systémique va ainsi considérer les objets dans leur ensemble, c’est-à-dire comme un tout qui ne ne réduit pas à la somme de ses parties (selon la proposition de Ludwig von Bertalanffy). A ce titre, elle s’attache également à l’organisation de l’objet vu comme un système de parties, ou d’éléments, en interaction dynamique.
Cette organisation est à la fois un processus et un état. Le processus implique un mouvement dirigé vers un but, il a une fonction à remplir (approche fonctionnelle du système, par exemple le processus de production d’une entreprise). L’état fait référence à la structure du système, à l’agencement de ses éléments (cette approche structurelle du système correspond par exemple à un organigramme pour une entreprise). Le système est également complexe parce que ses éléments peuvent, autant que ce système, posséder des propriétés intrinsèques. Il comporte alors des zones d’incertitudes avec lesquelles il est possible de composer pour comprendre, voire maîtriser le système.

Le caractère analytique convenant aux objets compliqués tolère alors difficilement l’ambiguité inhérente aux systèmes complexes dont il faut pourtant proposer une représentation. Cette dernière peut avoir au moins deux visées : la connaissance de l’objet (ex : une recherche fondamentale sur le système « entreprise ») voire sa maîtrise (ex : contrôler ou piloter l’entreprise). Dans les deux cas, la modélisation est l’exercice par lequel la représentation (mathématique, graphique, narrative, …) peut être transmise afin que la connaissance sur l’objet devienne accessible sans qu’elle ne conduise à la connaissance détaillée des parties. La pertinence l’emporte sur la vérité au sens cartésien du terme. Par exemple, est-il nécessaire qu’un dirigeant de PME connaisse dans le détail la composition et le fonctionnement de toutes les machines de l’atelier ? (Certains trouveront des cas où c’est peut-être nécessaire, mais c’est loin d’être généralisable). Un élu de la république doit-il connaitre dans le détail le fonctionnement de chacun des ministères, ou celui de toutes les institutions composant le territoire, etc. ? C’est impossible. Il lui faut pourtant prendre des décisions.

Pr. Thierry Verstraete, le 18 février 2016.
Quelques références :
de Rosnay J., Le Macroscope, Seuil, 1975
Le Moigne J.-L., La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990
Morin E., La méthode. La nature de la nature, Paris, Seuil, 1977
Verstraete T. et al., « Recherche-action pour apprécier l’utilité du concept de Business Model pour les jeunes dirigeants d’entreprise du bâtiment », Revue de l’Entrepreneuriat, 11(4), 2012
Von Bertalanffy L., Théorie générale des systèmes, Paris, Dunod, 1993 (nouvelle édition de la traduction du texte de 1968 publié chez Braziller, Inc, New York)