Texte principal du Chapitre 11
Note 11.1 : Premiers éléments définitionnels de la convention
Note 11.2 : Autres éléments définitionnels : «Convention et raison», Eugène Dupréel
Note 11.3 : Faux-pas, innovation et risque de représailles au non-respect des conventions
Note 11.4 : Exemple de mouton noir : Jean-Luc Thunevin
Note 11.5 : Imbrication des conventions et influences entre les composantes
Note 11.6 : Difficulté à identifier les conventions tacites
Note 11.7 : Une recherche-action pédagogique, mobilisant le cinéma, pour aider les porteurs
de projets à comprendre l’importance des conventions pour leur business
Note 11.8 : Les conventions de la création d’entreprise
Note 11.9 : Les conventions des partenaires et autres acteurs de l’écosystème
Note 11.10 : Les conventions liées à la nature du projet
Note 11.11 : Notre acception de la convention
La vie sociale est faite de conventions 11.1. Toutes les sphères sociales comportent et produisent des conventions guidant les uns dans la façon de se comporter vis-à-vis des autres, voire d’eux-mêmes en référence au sentiment d’appartenance sociale ou au souhait correspondant 11.2.
Les conventions sont dans le code de la route lorsqu’on roule à droite dans certains pays et à gauche dans d’autres, dans une soirée entre amis où on ne critiquera pas l’éventuel désastre culinaire des hôtes, dans certaines cultures où la ponctualité est de mise alors que pour d’autres le temps est plus relatif, … Il peut y avoir sanction au non respect d’une convention, par exemple quand tel joueur n’est pas sur la liste des sélectionnés pour le match officiel parce qu’il n’est pas venu aux entraînements 11.3 ; 11.4 .
Les conventions sont aussi dans toutes les institutions de différentes natures, de différents niveaux. Elles sont dans la famille, dans l’Etat 11.5.
Les conventions s’expriment de façon plus ou moins formelle, par le langage, qu’il soit oral ou écrit, par l’attitude, qu’elle soit manifeste ou plus discrète. Les conventions s’apparentent à des règles, mais elles ne sont pas obligatoirement définies 11.6. Leurs contours sont alors moins évidents et leur origine n’est guère connue de l’acteur. Qui sait pourquoi on tend la main droite pour saluer ? Pourquoi, ailleurs, c’est plutôt l’accolade, ou le baiser, ou un simple geste sans contact ?
Pourtant, et sans qu’elles conduisent forcément à la meilleure façon de faire, les conventions influencent le comportement, notamment en situation d’incertitude 11.7.
On fait comme cela parce que les autres feraient ainsi, du moins le pense-t-on, ou parce qu’on souhaiterait qu’ils fassent ainsi, ou parce qu’on pense qu’ils auraient le même souhait s’ils étaient dans une situation identique 11.8.
Des conventions, il y en a également dans le business. Un créateur d’entreprise compose avec de nombreuses conventions.
Il compose avec celles de la création d’entreprise, par exemple quand il doit remettre un plan d’affaires à une partie prenante l’exigeant 11.9. Il devra alors souvent présenter un prévisionnel financier détaillé selon les règles comptables en vigueur pour au moins les trois années suivant le lancement de l’affaire. Certes, il pourra toujours dire que l’approche par le Business model est plus pertinente pour justifier l’éventuelle absence de plan d’affaires, mais il ne sera pas toujours entendu, car la convention est tenace.
Ainsi, l’entrepreneur tient également compte des conventions des partenaires, que ces conventions concernent leurs pratiques ou leurs priorités. Par exemple, lors d’un projet de valorisation de la recherche par une création d’entreprise, il est utile de comprendre le comportement de ce chercheur partenaire à l’évidence davantage guidé par une quête de reconnaissance scientifique que par une réussite économique 11.10.
Il faut également intégrer les conventions liées à la nature du projet. Par exemple en matière de propreté pour la cuisine d’un restaurant, de sécurité ou d’accès aux handicapés pour un lieu public, d’ergonomie pour les outils numériques, d’accès aux informations personnelles dans les bases de données, de façon de fabriquer les produits ou de réaliser une prestation, etc. 11.11.
Il existe d’autres catégories de conventions s’exprimant selon la singularité des situations traversées. L’entrepreneur gagne à prendre en compte cette singularité qui s’explique souvent par l’histoire, la culture, le territoire, etc. lesquelles produisent, ensemble, des conventions. Pour illustrer, ainsi en est-il de certaines négociations devant soit durer, soit se faire autour d’un bon repas, etc.
Selon la théorie des conventions, une convention est souvent présentée comme un accord non explicite. Nous pensons qu’elle peut tout-à-fait revêtir un aspect plus formel. Selon une acception juridique, elle l’est forcément, par exemple sous la forme d’une convention collective complétant le code du travail, sous la forme de statuts juridiques ou d’un pacte d’actionnaires informant à propos de certains éléments de gouvernance, sous la forme de normes cadrant les bonnes pratiques ou au moins les attentes en matière de qualité.
La question est souvent posée de savoir si une loi est une convention. La loi tente d’orienter les comportements en distinguant le répréhensible de ce qui ne l’est pas. Mais il n’est pas dit que les individus d’une communauté s’y réfèreront. Une loi, en soi, n’est pas une convention même si ses promoteurs le souhaitent.
Tout cela dépend de l’acception donnée au terme convention, mais sur cette base, l’entrepreneur comprendra que les conventions revêtent de multiples formes. Il composera avec le flou des frontières entre le formel et l’informel, l’explicite et l’implicite, l’écrit et le non écrit.
Finalement, que retenir, en si peu de temps, de cette composante moins aisée à saisir parce que souvent absente des modèles stratégiques alors que les conventions orientent le comportement des acteurs faisant le business ?
Pour répondre, risquons-nous à une analogie avec le sport.
Les conventions posent les « règles du jeu », celles avec lesquelles les compétiteurs sportifs doivent composer. Les plus formelles sont plus difficiles à contourner, tout comme les plus anciennes et les plus visibles.
Mais une autre façon de faire, plus ou moins nouvelle, peut souvent être proposée, par exemple en innovant. Le rugby n’est-il pas né ainsi ?
Certaines règles du jeu peuvent être contournées. Dick Fosbury l’a fait en compétition internationale en sautant les barres du saut en hauteur par la technique sur le dos qui porte aujourd’hui son nom.
Parfois, ces règles évoluent. Ainsi, au football et afin d’éviter les actes d’anti-jeu, une équipe est désormais sanctionnée si son gardien de but garde le ballon en main plus de six secondes. La sanction est donnée par arbitrage, celui-ci devant repérer notamment les tricheurs, par exemple les joueurs mettant un but de la main en se disant que ce n’est pas trop grave. Pas grave, pas grave … cela dépend à la fois du point de vue, du sentiment des autres joueurs et de la position des observateurs par rapport au geste déviant. Dans un monde d’humains, attention, il y a toujours des tricheurs …
Par contre, un bon joueur gagnera toujours en respect et en notoriété. Et ça, c’est bon pour le business !
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Pour connaître la définition d’un mot, le recours au dictionnaire est une première lecture de bon sens. Une recherche internet dans le Larrousse fournit le résultat de la capture d’écran ci-contre.
On s’arrêtera aux trois définitions relevant respectivement d’une acception juridique, d’une règle de conduite et enfin d’un accord tacite ou explicite.
S’agissant de l’acception juridique, et puisque nous sommes pour l’instant sur, en quelque sorte, le vocabulaire, cette première définition du Larousse mérite d’être complétée par une source plus singulière. «Le» Cornu (2018 pour la 12ème édition) nous rappelle l’origine latine du mot, conventio dérivé de convenire : venir ensemble, être d’accord. Il nous dit que la convention est le mot générique donné à tout accord de volonté, entre deux ou plusieurs personnes, destiné à produire un effet de droit quelconque. Par un contrat, il s’agit alors, par exemple, de créer une obligation, de transférer la propriété, de transmettre ou éteindre une obligation (ex : cession de créance). La convention « désigne en général l’acte juridique dans son ensemble par opp. aux clauses et stipulations qui le composent, lesquelles sont cependant, en un sens, des conventions ». La pratique réfère parfois à l’écrit constatant l’accord passé. Dans le domaine du Droit international (ou des traités internationaux), la convention désigne « des accords multilatéraux ou des accords conclus sous les auspices ou dans la cadre d’organisations internationales, ainsi que des accords à caractère technique ». Le mot est également associé à d’autres pour désigner des espaces conventionnels juridique singulier; ainsi en est-il de la « convention collective », par exemple en Droit du travail, laquelle concerne les accords conclus entre « un employeur ou un groupement d’employeurs et un ou plusieurs syndicats représentatifs de salariés en vue de déterminer les conditions de travail et de rémunération qui s’imposeront aux employeurs adhérant au groupement, envers leur personnel ». On s’arrêtera ici sur cette perspective, qui pourrait évidemment être développée, pour remarquer que la convention, dans son acception juridique, est un acte prenant la forme d’un contrat produisant des effets à l’égard des tiers.
La deuxième définition donnée par le Larousse propose une expression moins formelle de la convention puisque celle-ci renvoie au comportement des membres d’un groupe social érigeant des règles de conduite pour bien vivre ensemble (il sera possible de relire une partie de l’avant-propos au C.10). Ces règles peuvent être explicites (les règles d’un jeu de société) ou plus tacite (des règles de bienséance, telle que le vouvoiement des personnes non intimes, ou au contraire le tutoiement dans certains cercles adoptant plutôt systématiquement cette pratique). La troisième définition est proche de sa précédente. Elle met néanmoins l’accent sur l’accord commun, sur la construction collective de ce qui est admis comme la façon de faire (l’orthographe évoqué dans cette définition concernant la façon d’écrire).
D’autres acceptions sont abordées dans ce chapitre 11. Nous donnerons, plus loin, notre acception de la convention.
Si sans équivoque nous plaidons pour une conception transdisciplinaire de la convention (la recherche menée sur le terrain des Etablissements Thunevin participe à cet appel ; Verstraete, Néraudeau, Jouison-Laffitte, 2018, lien), cette note vise à élargir le cadre définitionnel livré précédemment (lien vers 11.1) par une lecture philosophique de la convention. Si, dans ce domaine et pour ce thème, David Hume, Henri Poincaré, David Lewis, … pourraient être d’estimables références du propos, une lecture a été suffisamment marquante pour que nous lui réservions cette note, un peu longue. Le philosophe Eugène Dupréel a commis un essai tout-à-fait remarquable intitulé « Convention et raison » publié en 1925 dans la Revue de Métaphysique et de Morale. Il va sans dire que la présente note est de nature académique; le lecteur peu touché par ce type de prise de recul l’oubliera aujourd’hui pour, nous l’espérons, y revenir plus tard. Ceci dit, nous livrons des exemples concrets donnés par l’auteur et nous appliquons son propos à l’objet de notre ouvrage.
Voici quelques exemples que Dupréel mobilise pour illustrer la notion de convention :
• l’heure réglée sur nos montres et nos horloges est fictive et se substitue à l’heure effective que
« le réel » nous imposerait ;
• l’utilisation du prénom donné par des parents à un enfant ;
• la synchronisation des rameurs d’un canot (avec, lorsque la synchronisation est bonne, une amélioration des performances) ;
• les trois dimensions de l’espace euclidien ;
• la fixation d’une vitesse maximale pour les calèches, puis pour les voitures ;
« L’élément commun à tous ces exemples, c’est une certaine relation entre deux ou plusieurs individus, déterminant en partie leurs actes et leurs volontés … La convention établit entre ses auteurs de la correspondance, crée de l’accord, fait en sorte que la réunion de leurs conduites, au lieu d’être une somme d’éléments disparates, constitue un tout organisé, elle en fait une activité unifiée … C’est là l’essentiel de l’opération conventionnelle : elle coordonne des séries d’activités, impliquant des faits matériels et des conditions psychologiques, et une règle unique et commune qui détermine également la conduite ou l’attitude des convenants. Il n’importe pas que ceux-ci accomplissent les mêmes actes, mais leurs conduites seront réciproquement déterminées selon la règle … ce n’est que secondairement qu’on peut trouver dans l’opération de la convention d’autres éléments qu’une détermination de séries d’activités, par exemple, le nom de l’enfant (l’enfant sera Paul ou Louis), ou dans un acte spécifique tel qu’un contrat écrit et enregistré, un serment, ou encore une notification formelle à des tiers. Parmi ces éléments non dynamiques de la convention, les uns peuvent être présents ou manquer, selon que la convention sera explicite ou implicite … Tous ils ne constituent que des signes, des symboles ou des moyens, destinés à assurer la coordination des séries d’activités ou à exprimer aisément cette coordination. » (p.285-286).
Ce propos, appliqué à l’entrepreneuriat, est édifiant. On peut en effet s’attendre à ce que les partenaires potentiels se comportent conformément à ce que le projet d’entreprendre envisage dès lors qu’ils y prennent part (un possesseur de ressources devenant alors partie prenante), notamment celles qui sont dans le cercle parfois qualifié «d’interne» à l’entreprise.
Nous nous prononcerons sur ce point pour critiquer les hypothétiques et classiques frontières de l’organisation dans une autre note, mais ici avançons que l’ensemble des parties prenantes sont coordonnées par la convention dont le BM est selon nous l’artefact. Cette adhésion (a priori) suppose une croyance au projet et appelle (sauf malice) un comportement favorable, donc une volonté expliquant les actes. Plus on s’approche de l’opération productive (c’est-à-dire de la Génération de la valeur, au sens GRP du terme, voire plus spécifiquement de sa composante Fabrication de la valeur), plus le propos semble évident. Mais, dans la mesure où le BM est à la fois un tout et un système (cf. chapitre 13), toutes les composantes sont intégrées au raisonnement.
S’agissant de l’adhésion évoquée ci-dessus, Dupréel apporte une connaissance générique à nouveau transférable en situation d’entreprendre « Dans cette insertion du conventionnel sur le réel, ce qu’il nous importe avant tout de dégager, c’est une double série de conséquents : du fait de la convention il y a d’abord quelque chose qui s’impose à ses auteurs eux-mêmes dans la mesure où ils veulent ou acceptent l’opération conventionnelle, et qui est révocable dans la mesure où leur volonté peut changer. Il y a ensuite ce que doivent subir ceux qui ne sont intervenus ni pour instituer la convention, ni pour s’y rallier l’acte une fois posé. Le fait complet de l’activité conventionnelle intéresse donc deux sortes de personnes : des agents et des patients. Si la convention est un acte où intervient de la liberté et de l’arbitraire, c’est du seul fait des parties contractantes ; pour les tierces personnes cette opération est une réalité comme une autre, qui s’impose par ses effets …
Ceux-là mêmes qui sont intervenus comme partie contractantes, s’il leur arrive de changer d’intention et de retirer leur consentement, ne sont pas à même d’abolir tous les effets de l’ancien accord, et il est régulier qu’à côté des résultats conformes à leurs intentions, l’acte conventionnel leur présente des conséquences dont ils ne s’accommodent que par résignation… Dès lors qu’on la situe dans un ensemble d’activités plus complet et plus concret, elle n’est plus qu’une opération, d’une forme bien définie, à base d’accord de volonté, et qui constitue un point aisément discernable, duquel partent des séries d’activités bien déterminées, une articulation, un nœud de réalité et d’action », puis, il met en garde : « Il peut y avoir de la convention dans tout. Réciproquement, tout n’est pas convention ». (p.288). Ce dernier point touche à l’identification des conventions. Autrement dit, il n’est pas déraisonnable de se poser la question du caractère conventionnel d’une observation. Nous y revenons en note 11.6
Avec Dupréel, la convention implique une volonté. Il y a donc une forme d’adhésion d’un agent qui, par sa participation, fixe la convention et en subit le poids. Il a par contre la possibilité de s’en détacher, avec les conséquences de l’institutionnalisation (la convention en est une forme), à savoir une inertie (ou pression) d’autant plus forte que les autres agents maintiennent la convention voire, dans certains cas, que des sanctions soient prévues en cas de rupture. Pour illustrer, ce sera la situation vécue par un fournisseur ne respectant pas un délai de livraison avec les influences que cela peut avoir sur les chaînes de valeur des parties prenantes, ou celle vécue par un actionnaire souhaitant sortir du capital sans trouver d’acheteur pour ses parts, etc.
Dupréel distingue les agents et les patients. Cette approche des individus touchés par la convention est intéressante puisqu’elle distingue, dans un autre langage, les parties prenantes (les possesseurs de ressources prenant part au projet en apportant, par un échange, les ressources), assimilables aux agents, et les autres membres de structures sociales (les patients) susceptibles d’être affectés par la présence de la convention. Selon notre acception, un concurrent est un patient (il serait agent s’il devenait une partie prenante d’une joint venture), tout comme les acteurs du développement territorial, etc. Ces patients peuvent subir les conséquences d’une convention, « qui s’impose par ses effets ». Les exemples sont très nombreux : un voisinage subissant soit les inconvénients (éventuellement bruit, pollution, circulation, …) soit les avantages de la création d’une entreprise (éventuellement embauche, clients pour les commerces, …) proche de chez lui. Autrement dit, la perspective conventionnelle participe à la qualification des parties prenantes, concurrentes ou autres, ce qui peut être très intéressant lors de la construction du tableau correspondant 10.12.
« Ce que nous venons de mettre en relief, c’est la forme de l’opération conventionnelle, si l’on convient traditionnellement d’appeler forme d’une chose ce qu’exprime la définition de cette chose. Mais cet élément formel ne peut se rencontrer que combiné avec une matière qui lui est étrangère. Nous dirons qu’une convention comporte d’une part des antécédents ou conditions préalables qu’elle n’a en rien institués, de l’autre des conséquents, enchaînement de phénomènes matériels ou psychologiques qui sont bien en partie conditionnés par la convention, mais qui doivent aussi leur existence et leur nature à ce que la convention n’est pas la seule à les avoir déterminés. » (p.286). Ce propos libère l’aspect dynamique de la convention, dans la mesure où celle-ci nait d’un matériel préexistant que sa formation dynamise pour fournir, pour prendre un vocabulaire ingénierique, des ouputs. Ces derniers sont à la fois les produits et les services fournis, mais revêtent parfois un aspect a priori moins identifiable correspondant aux conséquents évoqués par Dupréel. Ces conséquents s’expriment dans un environnement plus ou moins large, hébergeant plus ou moins la convention selon la lecture que veut en faire l’observateur. Ainsi, pour illustrer, le concept de Domaine d’Activité Stratégique (DAS) peut être considéré comme hébergeant un projet d’entreprendre relevant de ce domaine. Une autre illustration pourrait s’appuyer sur le concept de territoire (quoique l’acception de celui-ci se prête à différentes lectures).
Ceci dit, tout un ensemble de conséquents découle de la convention initiée touchant des zones directement liées à la convention du projet d’entreprendre (la concurrence, le niveau de vie des salariés,…), ou plus périphériques (ex : l’écologie du territoire) et d’autres conventions avec lesquelles ce projet est parfois en concurrence. Ainsi vue, une perspective ingénierique de la convention est possible, consistant à identifier le matériel mobilisable (ressources), à organiser la forme conventionnelle (structure de l’organisation, dans son acception large et configurationnelle) jusqu’à fournir les livrables attendus mais aussi à anticiper, par une scénarisation, les autres conséquents de la convention.
Dupréel précise : «Ces conséquences ne sont pas entièrement contenues dans les termes de la convention ; les auteurs de celle-ci ne peuvent les avoir toutes prévues, l’objet propre de la convention se combinant avec des circonstances dans lesquelles des causes étrangères et le hasard interviennent inextricablement.» (p.287). On touche ici à différentes composantes du BM GRP et à leurs liens (Proposition de valeur, Fabrication de la valeur, Conventions, Ecosystème principalement dans ce propos qui pourrait être développé). Il est également possible d’identifier dans le propos une intentionnalité, pour nous a minima celle de l’entrepreneur ou de l’équipe entrepreneuriale car ils sont à la fois les initiateurs et les premiers acteurs de la coordination (mais la perspective conventionnaliste offre un possible élargissement de ce premier cercle), ainsi qu’une acceptation d’un aspect contingent (causes étrangères, hasard) à l’évolution de la convention.
On ne cèdera pas à la tentation de commenter tout le texte, ce sera pour un autre support, mais difficile de terminer sans rapporter le passage suivant (p. 288-290). « … quand nous avons reconnu que du nœud conventionnel des séries de phénomènes enchainés partent et peuvent aller s’écartant des intentions formelles de convenants, combinant ainsi les résultats directs de celles-ci avec du hasard ou avec d’autres activités, nous avons admis par cela même que l’activité conventionnelle implique d’autres formes d’activité, et des liaisons de termes que les conventions n’instituent pas eux-mêmes, pour les besoins de leur convention, par des conventions complémentaires. Toute convention exploite des formes d’ordre, enchainement causal, ordre chronologique, législation, coutume, ordre logique, qu’elle trouve tout établies et qu’elle n’établit pas. Si ces ordres n’existaient pas au préalable, ni l’idée de faire une convention ne viendrait à personne, ni la possibilité de ses effets n’existerait, car elle ne serait pas ce nœud, ce point de départ de séries dynamiques pourvues d’une direction, dans lequel nous avons reconnu qu’une convention consiste … De même qu’elle est un point de départ de séries d’actes et un lieu de naissance de faits ou de choses, la convention est à l’extrémité de séries dynamiques ou de faits superposés, comme leur commun point d’aboutissement. Elle s’insère dans une réalité qui lui est préalable et qu’elle n’a pas créée. Les antécédents de toutes sortes d’une convention, choses, faits matériels, tendances, inclinaisons, connaissances et volontés antérieures des intéressés, tout cela aboutit à des raisons d’agir, et c’est de celles-ci que résulte le consentement collectif dans lequel la convention consiste essentiellement. Cela étant, il convient de formuler dès maintenant ce qui nous paraît être un principe fondamentaux d’une théorie de la convention, ce qui, du moins, nous paraît faire apercevoir tout de suite l’importance philosophique de cette théorie ; c’est le principe des raisons diverses : les auteurs d’une convention peuvent être déterminés par des causes différentes et variables, et par des motifs différents et variables. ». Dupréel parvient également avec une certaine élégance, à montrer que les positions de Hume, ou celle de Poincaré, assimilent peut-être exagérément l’intérêt commun à des antécédents par nature proches ; il préfère voir la convention comme en partie un noyau faisant l’accord des esprits et « une détermination réciproque par quelque chose d’implicite, mais de formellement discernable » (le mot implicite référant aux antécédents, pas à la forme conventionnelle, laquelle peut, selon nous, comporter des éléments explicites).
A vous de jouer :
1/ Proposer des exemples illustrant le paragraphe « quand nous avons reconnu que du nœud conventionnel… par des motifs différents et variables. »
Pour aller plus loin :
Dupréel, E. (1925). « Convention et raison ». Revue de Métaphysique et de Morale, 32(2), p.283-310.
Verstraete, T. ; Néraudau, G. ; Jouison-Laffitte, E. (2018) « Lecture conventionnaliste du cas des établissements Thunevin », Revue Internationale PME, 31(1), p.93-128
Lorsque la convention a pris la forme d’une norme explicite, par exemple celle de la comptabilité générale, ne pas la respecter conduit à des amendes pour les entreprises relevant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Elles doivent se soumettre à l’obligation de tenir cette comptabilité et en respecter la méthode. Lorsque la convention est tacite, la sanction provient souvent des autres acteurs de l’espace social concerné. Cette sanction peut s’exprimer avant l’engagement dans une relation (ex : non embauche, suite à un entretien, du candidat s’affichant dans un code vestimentaire éloigné de celui de l’entreprise recrutant), durant la relation (ex : le nouveau recruté fait du zèle s’agissant des horaires de travail et ses collègues le snobent) et parfois après (ex : alors que les informations remontées par les opérationnels passent par le niveau hiérarchique immédiatement supérieur, un employé ne reçoit pas les appréciations attendues en fin d’année lors de son évaluation parce qu’il a précédemment été directement voir un supérieur plus haut placé dans l’organigramme). Autrement dit, un risque de représailles, plus ou moins légitime et plus ou moins contestable, existe. Si la convention a été contournée à dessein, l’acteur aura sans doute apprécié à la fois l’intérêt de le faire et les risques associés. Mais dans les faits, différentes situations se présentent. Deux sont ici rapportés brièvement, le faux-pas et l’innovation.
Par exemple, l’entrepreneur peut faire un « faux-pas ». Cette notion a émergé dans le travail doctoral d’Alain Meiar (2015) et a plus récemment fait l’objet d’une conceptualisation (Meiar, Verstraete, 2019, lien). Le terrain ayant alerté sur le faux-pas est un cas de reprise d’entreprise mais le propos peut être élargi à toute situation entrepreneuriale.
« Au sens propre, un faux pas fait chanceler ou trébucher l’individu. Au sens figuré, c’est une bévue, une gaffe, une maladresse ou un impair plaçant son auteur dans une situation délicate. Les deux sens du terme nous intéressent lorsqu’on les applique à l’entreprise. En considérant les objectifs poursuivis par celle-ci comme étant précédés d’un chemin à suivre dont il ne faudrait pas s’écarter pour les réaliser, un faux pas est une action ou une décision pouvant gêner l’atteinte d’un but et constituer un obstacle dans la réalisation de la stratégie de l’entreprise. Plus largement, et parce que la stratégie n’est pas toujours explicite dans les PME, un faux pas est une action influençant négativement les résultats de l’organisation. A ce titre, un faux pas comporte une dimension stratégique, quand bien même il semblerait être d’ordre opérationnel lorsqu’il se produit.
Deux principaux corpus théoriques ont contribué à éclairer le faux pas.
Sous le prisme de la théorie de la charge cognitive, il s’explique par la difficulté qu’un individu peut avoir de construire des schémas de représentation afférents à l’affaire reprise congruents à ce qu’elle est. Cette ontologie peut s’effacer par une lecture plus cognitive en prenant en référentiel la représentation qu’en a le cédant, en imaginant raisonnablement que si ce dernier a dirigé avec succès durant de nombreuses années l’entreprise transmise, sa représentation est alors relativement conforme à ce que chacun pourrait y voir. L’accès à cette représentation est toutefois souvent rendu difficile, entre autres, par le temps que le repreneur et le cédant passent ensemble. Le repreneur doit assimiler beaucoup d’information en peu de temps et peut se retrouver en situation de surcharge cognitive.
Avec la perspective conventionnaliste, il s’agit de considérer la représentation du cédant comme construite autour du registre conventionnel que constitue l’entreprise. Ce registre s’assimile alors à une représentation relativement partagée par les parties prenantes, lesquelles jouent le jeu de la convention proposée par les échanges avec l’entreprise. Cette perspective permet d’éclairer le faux pas comme un écart de conduite par rapport à la convention qu’est l’entreprise. » (Meiar, Verstraete, 2019, p.1).
Ainsi, plus généralement en contexte entrepreneurial, un faux-pas consiste à prendre une décision pouvant nuire au projet d’entreprendre sans que le créateur ait conscience de la maladresse. Cette possibilité de faux-pas est grande pour les primo-entrepreneurs car ils sont confrontés à de nombreux registres conventionnels non encore intégrés. Les porteurs de projet entreprenant dans des milieux nouveaux pour eux sont dans la même situation car, a priori, ils peinent à comprendre les comportements des acteurs du système alors que ces comportements deviennent lisibles à la lumière des conventions les surplombant. Il est non seulement utile, mais souvent salvateur, de conseiller à ces porteurs de projet de prendre le temps nécessaire à l’identification et à la compréhension des conventions 11.6. Chez les plus jeunes, notamment lorsqu’ils sont étudiants dans une formation en entrepreneuriat, il n’est pas rare qu’il leur soit conseillé d’effectuer la moitié de leur période de stage à comprendre le secteur professionnel envisagé par le projet de création d’entreprise (l’autre moitié étant entièrement consacrée à la maturation du projet). Ils se lancent alors à la quête d’une organisation pouvant les accueillir et susceptible de les aider plus ou moins explicitement dans l’appréhension des principales conventions.
Dans une certaine mesure, l’innovation peut être vue comme la proposition d’une nouvelle convention car elle change le comportement des membres d’un espace social. Plus encore, elle peut générer des conséquences devenant conventionnelles. La résistance des milieux concernés peut être forte lorsque des enjeux sociaux et économiques, voire parfois politiques, importants sont liés à l’innovation, que celle-ci soit de nature technologique ou de nature sociale. Les acteurs en place peuvent parfois entretenir une rente, a minima une source de rémunération/satisfaction, qu’ils ne souhaitent pas voir disparaître, notamment lorsque des enjeux territoriaux sont effectifs. Dans tous les cas, il faut retenir qu’une innovation adoptée passe par un processus de socialisation (décrit dans la littérature correspondante) induisant un changement de comportement des acteurs de la chaîne de valeur.
A vous de jouer :
1/ Imaginer des conventions tacites pouvant, si elles ne sont pas respectées, conduire à des faux-pas et, en conséquence, à des représailles à l’égard d’un créateur d’entreprise et de son projet.
2/ Identifier des innovations (technologiques ou sociales) ayant contourné les conventions en place et produit de nouvelles conventions.
Pour aller plus loin :
Meiar, A. (2015). Le Business Model de l’entreprise transmise : comparaison de la représentation du repreneur avec celle du cédant pour contribuer à réduire le risque de faux pas, Thèse pour le Doctorat en Sciences de Gestion de l’Université de Bordeaux
Meiar, A. ; Verstraete, T. (2019). « Essai de conceptualisation de la notion de faux-pas », 11ème Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation, Montpellier (lien)
Le sens figuré de l’expression « mouton noir » s’applique à l’individu dont le comportement est jugé déviant (au prétexte que les moutons sont dans leur grande majorité blancs). Pour illustrer dans quelle mesure cette expression peut être mobilisée dans le domaine de l’entrepreneuriat, et plus particulièrement pour expliquer comment certains entrepreneurs composent avec les conventions des espaces sociaux touchés par leur projet, nous reprenons dans cette note un travail effectué sur le terrain des Etablissements Thunevin.
Le travail réalisé a mis au jour 7 conventions constituant une grille de lecture tout à fait pertinente du cas : le Château bordelais et son vin (C1), le goût du vin bordelais (C2), les relations aux « autres » (C3), le classement des vins et la fixation du prix (C4), l’opération « primeurs » et la notation des vins (C5), la Place de Bordeaux (C6) et l’effet millésime (C7). Le texte explique chacune de ces conventions et montre que celles-ci forme un système : « En partant de la C4 (classement et fixation du prix), JLT fixe un prix fort dérogeant à cette convention puisque, alors inconnu, il met un prix à la hauteur des premiers grands crus classés. JLT a provoqué la C4 sans intention, mais simplement parce que son passé d’employé de banque lui a appris que les produits doivent couvrir les charges. Le respect de cette convention aurait plutôt conduit à augmenter progressivement le prix en fonction des résultats de la propriété et de sa progression dans le classement. Dans le même temps, lors de l’opération des primeurs (C5), Valandraud reçoit de très bonnes notes de Robert Parker. Ces deux conventions conduisent à ce que la presse s’intéresse à ce cas qui semble hétérodoxe (Bad Boy, Black Sheep) par rapport à l’idée qu’on se fait du Château bordelais (C1). Le « Château » a généralement une attitude plus discrète. JLT a brisé les tabous, sans perdre de vue la nécessité de faire du très bon vin, mais plus rapidement accessible (le vin bordelais avait la réputation de devoir être attendu une ou deux décennies). Cette hétérodoxie est renforcée par le fait que JLT possède un franc-parler qu’il ne faudrait pas confondre avec de la naïveté, car il veille toujours à ne pas critiquer les autres et à les respecter (C3). JLT n’est pas un « révolutionnaire », son bon sens et sa conviction expliquent la plupart de ses décisions. Même le vin de garage n’était pas totalement nouveau. Certains personnages emblématiques du vin proposaient déjà ce type de crus, mais leurs propriétaires, par ailleurs producteurs plus « conventionnels » (en référence à C1), ne voulaient pas entacher leurs productions de cette image originellement péjorative, pas plus qu’ils ne souhaitaient être comparés aux nouveaux venus dans le domaine.
Évidemment, également pour des raisons commerciales, l’attention que JLT porte aux autres (C3) le conduit à entretenir d’excellentes relations avec la Place de Bordeaux (C6). Qui plus est, il joue le jeu de la baisse du prix lors des petits millésimes (C7).
Si JLT semble déroger à certaines conventions, ce n’est pas par provocation, mais pour bien faire. Par exemple, il combine diverses techniques de viticulture pour obtenir un raisin mûr (C1) et faire un bon vin alors que les conditions climatiques (C7) des premières années de production ne sont pas bonnes (les millésimes 1991 à 1993 sont au plus bas). La plupart des crus utilisent désormais ces techniques, même si certains des plus grands châteaux utilisaient l’une ou l’autre déjà auparavant sans le confesser (C1). On perçoit ici un jeu entre des conventions évoluant dans le temps (influence de C2 sur C1). » (Verstraete, Néraudau, Jouison, 2018, p.109-110).
Cette lecture conventionnaliste du cas des Etablissements Thunevin nous paraît essentiel pour comprendre leur réussite. Elle nous a également permis de constater, d’une part, comment les conventions se combinent (« des conventions s’imbriquent pour participer à la formation d’un contexte au projet d’entreprendre en surplombant les agissements des individus. Ils s’y conformeront plus ou moins, notamment parce qu’ils ont une intelligence pragmatique mobilisée pour choisir de recourir, le cas échéant, à d’autres conventions. » p.111) et, d’autre part, la nécessité de combiner différentes acceptons de la convention. Par exemple, pour les économistes de la convention, celle-ci est obligatoirement tacite, alors que pour les juristes elle est explicite. Ces deux acceptions sont nécessaires pour comprendre le cas des Etablissements Thunevin, elles se combinent. Notre texte appelle une conception transdisciplinaire de la convention.
A vous de jouer :
1/ Identifier un cas et en faire une lecture conventionnaliste.
2/ Montrez, pour votre projet entrepreneurial, comment des conventions tacites et explicites se combinent (il s’agit, en quelque sorte, de faire une lecture conventionnaliste de votre projet).
Pour aller plus loin :
Verstraete, T. ; Néraudau, G.; Jouison-Laffitte, E. (2018). «Lecture conventionnaliste du cas des établissements Thunevin», Revue Internationale PME, 31(1)
La note précédente prend le cas des Etablissements Thunevin dont la lecture conventionnaliste montre comment les conventions identifiées se combinent et s’imbriquent. Le périmètre de ce travail est circonscrit au secteur du vin. Mais les espaces sociaux où évoluent les individus sont multiples et relèvent de sphères différentes. Ainsi, le milieu familial comporte ses conventions, parfois propres à une famille, parfois plus sociétaux (tribus, zone géographique, …). Les règles peuvent s’exprimer dans les relations parents-enfants, lors des repas, dans la façon de fêter certains évènements, etc. Il suffit de prendre le cas des commerçants, ou celui des artisans et peut-être plus encore celui des agriculteurs pour mesurer à quel point les conventions de la sphère professionnelle et celles du périmètre familial s’imbriquent. L’entrepreneur en tiendra compte dans la Proposition de Valeur, car le produit ou le service proposé peut conduire à des usages influençant les comportements des individus dans différents espaces sociaux, ce que la transformation numérique a largement provoqué, ne serait-ce qu’avec les smartphones. Quel enseignant n’a pas été surpris de voir un étudiant lui-même étonné de ne pas pouvoir utiliser son smartphone durant un cours… La Fabrication de la Valeur peut également chambouler les registres conventionnels, lorsque l’innovation se situe au niveau organisationnel et que les chaînes de valeur des acteurs du secteur sont influencées par le nouveau projet. Le chapitre 13 reviendra sur ce point.
Si les conventions explicites (une norme, un label tel que le bio par exemple, parfois un contrat) sont plus facilement repérables (les prochaines notes contiennent un propos relatif à leur identification). Par contre, les conventions tacites le sont beaucoup moins.
Nizet (dans un document de travail non daté) prend l’exemple d’une nouvelle employée pour se poser la question de l’heure à laquelle elle va quitter le bureau. Elle peut avoir été explicitement avisée par son chef de service de l’heure de fin de journée de travail. Si ce n’est pas le cas, elle peut aussi constater que ses collègues se lèvent à 18h pour partir. Elle peut enfin se trouver en difficulté de quitter son lieu de travail si elle devait constater, alors qu’elle est restée travailler plus tard, que le parking est fermé.
Un autre exemple peut être évoqué avec la convention d’évaluation à l’aveugle des textes scientifiques soumis à une revue. Dans ce cadre conventionnel, les auteurs doivent envoyer un texte ne comportant aucune indication permettant de les identifier. A l’inverse, les évaluateurs (2 ou 3 selon les revues), ne se font pas connaître, le Rédacteur en chef de la revue contrôlant la logistique afférente. Certes, il est parfois difficile de complètement gommer la possible identification, mais chacun s’efforce de respecter cette convention ; dans le cas contraire, une sanction immédiate peut tomber : le refus de publication du papier. Si, dans les instructions données aux auteurs et aux évaluateurs, les revues affichent explicitement cette convention, les formes à employer pour la respecter sont souvent tacites.
Pour aider à l’identification des conventions, il est possible de tirer des enseignements de la littérature à travers ce qu’elle en dit. Ainsi, la convention permet, en situation d’incertitude, de prendre une décision en référence à la croyance du comportement d’un autre placé dans une situation identique. Autrement dit, pensant qu’un pair ferait ainsi, l’individu fait de même. Une forme de mimétisme peut se dégager de cette croyance, chaque membre du collectif agissant parce que « on fait comme ça ». Le temps permet alors d’observer le comportement ainsi reproduit. La coordination des acteurs est régulée par ces croyances s’agissant du comportement des autres (Orléan, 1994) et l’expérience de la convention l’installe dans la pratique par la coordination qu’elle permet effectivement (Diaz-Bone et Thévenot, 2010). Parfois, personne ne se rappelle pourquoi on fait comme ça. « Cette perspective répond ainsi à la gestion de l’incertitude en laissant à l’acteur la possibilité de décider de son comportement en fonction de ses capacités cognitives ou de ses motivations, mais il est également orienté par une représentation plus collective régulant les mouvements économiques et sociaux … une forme de représentation collective surplombe les actions des individus qui restent néanmoins libres de se comporter plus ou moins conformément au cadre conventionnel dans leur régime d’action. » (Verstraete, Néraudau, Jouison-Laffitte, 2018, p.98). Une fois « installée », la convention peut être appelée pour légitimer un comportement. Il faut comprendre que le recours à la convention n’est pas automatique, car l’individu engage un exercice réflexif le conduisant à décider d’agir, ou pas, selon le cadre qu’elle pose. Qui plus est, des conventions peuvent entrer en concurrence (Gomez et Jones, 2000) et l’individu a parfois le choix de recourir à un cadre plutôt qu’un autre (Boltanski et Thévenot, 1987 ; Diaz-Bone et Thévenot, 2010). Outre l’incertitude, le caractère mimétique du comportement des individus face à la convention et la coordination évoquée précédemment, d’autres thèmes sont proposés pour cerner la convention, par exemple les valeurs, la rationalité, le bien commun, etc. (Eymard-Duvernay et al., 2006a et b ; Gomez, 1999;…).
La question reste posée sur la façon de traduire dans la pratique ces référentiels théoriques pour aider l’entrepreneur à identifier les conventions avec lesquelles il devra composer (c’est-à-dire y souscrire, les contourner, voire parfois les affronter). Il n’y a pas de méthode connue dont l’objectif est de repérer les conventions car l’approche conventionnaliste n’est pas intégrée à l’arsenal des modèles stratégiques des cabinets de consultants, qu’il s’agisse de faire un diagnostic ou de formuler un avenir pour l’entreprise, pas plus qu’elle n’apparaît dans les recensions plus académiques des outils stratégiques (par exemple celles de Knott, 2008 ; Furrer, Thomas et Goussevskaia, 2008). Il serait évidemment dommage d’attendre qu’une sanction de l’entourage social se manifeste, ou qu’un faux-pas soit réalisé 11.3, pour qu’une convention soit révélée. L’encart ci-contre offre quelques préconisations.
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Quelques préconisations pour identifier les conventions (notamment tacites).
• Le concept de convention est puissant pour comprendre la dynamique d’un espace social à travers les comportements des acteurs y évoluant, mais il s’avère certes un peu difficile à mobiliser lorsqu’on le connaît depuis peu (tous les entrepreneurs sensibilisés ont ensuite reconnu la pertinence de la composante convention). Nous proposons alors dans un premier temps de penser « règles du jeu ». Cette coloration ludique de la règle permet de prendre conscience, d’une part, qu’il y a ceux qui la suivent, ceux qui la contournent, ceux qui l’enfreignent ou qui trichent, etc. et, d’autre part, des sanctions possibles au non-respect de la règle lorsqu’on se fait « prendre»: amende, exclusion du jeu (bannissement), condamnations, … ;
• Si le concept de vigilance est souvent mobilisé dans le domaine de l’entrepreneuriat pour signifier que les entrepreneurs identifient des opportunités d’affaires (la littérature parle de vigilance entrepreneuriale, en référence aux travaux de Kirzner), ici la vigilance est orientée vers l’identification des conventions. La connaissance du concept de convention alerte l’observateur sur l’utilité de comprendre, pour la réussite de ses affaires, les « règles du jeu » auxquelles il sera confronté ;
• Une expérience de l’espace social (ex : un secteur d’activité) nous semble nécessaire pour repérer les conventions tacites. Ce repérage est difficile sans évoluer dans les environnements portant les conventions ;
• L’expérience à laquelle le point précédent encourage conduit à rencontrer des acteurs du système ou le connaissant bien pour explicitement les interroger sur les « règles du jeu » ;
• Tout comportement «étonnant » observé doit conduire à s’interroger sur son caractère «conventionnel» ;
• L’entrepreneur s’interrogera sur les conséquences possibles de la décision qu’il s’apprête à prendre. Par exemple, risque-t-elle d’heurter d’autres conventions, notamment concurrentes ;
• Une approche de type benchmark des échecs et des réussites du secteur d’activité (voire de la zone géographique, d’une technologie proche, d’une innovation, …), toujours avec ce prisme conventionnaliste pour comprendre les cas étudiés, aide au repérage des conventions.
• Enfin, le créateur soumettra les listes des conventions relevés à des experts de la création d’entreprise (conseiller), du secteur d’activité, du métier observé, etc.
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Pour aller plus loin :
Boltanski, L. et Thévenot, L. (1987). Les Économies de la grandeur. Paris, Presses universitaires de France.
Diaz-Bone, R. et Thévenot, L. (2010). La sociologie des conventions. La théorie des conventions, élément central des nouvelles sciences sociales françaises. Document en ligne, récupéré le 3 janvier 2016 sur le site : .
Eymard-Duvernay, F. (2006a). L’Économie des conventions – Méthodes et résultats (tome 1). Paris, La Découverte.
Eymard-Duvernay, F. (2006b). L’Économie des conventions – Méthodes et résultats (tome 2). Paris, La Découverte.
Furrer, O., Thomas, H. et Goussevskaia, A. (2008). « The structure and evolution of the strategic management field : a content analysis of 26 years of strategic management research». International Journal of Management Reviews, 10(1), p.1-23.
Gomez, P.-Y. (1999). De quoi parle-t-on lorsque l’on parle de conventions ? Dans Les Conventions en
questions. Les Cahiers de l’Artemis, 2, 131-147
Gomez, P.-Y. et Jones, B.C. (2000). Conventions : an interpretation of deep structure in organization. Organization Science, 11(6), p.696-708.
Knott, P. (2008). « Strategy tools : who really uses them ? », Journal of Business Strategy, 29(5), p.26-31.
Nizet, J. Théorie des conventions (document de travail). Facultés universitaires de Namur, Belgique.
Orléan, A. (1994). Analyse économique des conventions. Paris, Presses universitaires de France.
Verstraete, T. ; Néraudau, G.; Jouison-Laffitte, E. (2018). «Lecture conventionnaliste du cas des établissements Thunevin », Revue Internationale PME, 31(1)
Cette note présente une recherche-action pédagogique, publiée (Verstraete, Krémer, Néraudau, 2018), dont le cadre opératoire, pour sa partie strictement pédagogique, est désormais systématiquement mis en œuvre lors de l’entrée en formation d’étudiants du Master 2 Entrepreneuriat de l’Université de Bordeaux ; il est également déployé dans le cadre d’une licence Entrepreneuriat du département TC de l’IUT de l’UB, avec le même succès.
« … tout projet entrepreneurial est confronté aux conventions des espaces sociaux traversés par lui. Les conventions peuvent référer à la façon de faire des affaires (ex.: des négociations plus ou moins longues), au comportement des consommateurs (ex. : habitudes), aux normes (comptables, d’hygiène, de sécurité, de qualité, etc.). L’entrepreneur gagne à les identifier pour mieux composer avec les conventions favorables à son projet, ou pour imaginer les façons de contourner celles susceptibles de lui nuire, voire, à dessein, pour tenter d’en infléchir d’autres lorsque, notamment, un projet innovant vise à orienter le comportement des acteurs différemment de leurs pratiques passées ou actuelles. Ces acteurs sont, dans ce cas, les parties prenantes potentielles que l’entrepreneur aimerait voir prendre part au projet.
Dans le cadre d’un Master et d’une Licence professionnelle en entrepreneuriat, l’équipe pédagogique avait intégré les conventions dans l’apprentissage des étudiants. Parfois, avant de se lancer effectivement en affaires, ces derniers occupent un poste de conseiller (dans une structure d’accompagnement, dans des institutions de développement territorial, en banque, etc.). Dans les deux cas (entrepreneur ou conseiller), ils sont confrontés à des espaces sociaux qu’ils découvrent et l’appréhension des conventions de ces espaces est particulièrement utile à la pertinence des affaires envisagées ou du conseil apporté. À ce titre, le problème auquel nous nous intéressons est le suivant : ces étudiants ont toujours exprimé, au début de leur apprentissage, une difficulté à appréhender les conventions, tout en reconnaissant, par la suite, leur pertinence et leur grande utilité lorsqu’il s’agit de concevoir ou de comprendre une affaire. Il faut dire que même pour les étudiants en économie ou en gestion (la Licence et le Master recrutent des étudiants provenant de tout type de cursus), leur formation antérieure ne leur présente pas les conventions telles qu’ici définies. Les études de cas ainsi qu’un accompagnement dans la conception de leur affaire permettent de répondre au problème de l’apprentissage des conventions, notamment pour repérer celles avec lesquelles cette affaire envisagée va composer, mais l’équipe pédagogique souhaitait rendre, pour l’année universitaire 2015-2016, cette composante de l’apprentissage plus rapidement accessible afin d’accélérer la mise au point du Business Model …
Ainsi, pour répondre au problème pratique des porteurs de projet constituant le terrain de notre recherche, nous avons réalisé une recherche-action pédagogique (Catroux, 2002 ; Jouison-Laffitte, 2009 ; Bréchet et al., 2014), avec l’idée de placer les étudiants en position d’observateurs d’une situation entrepreneuriale. Pour atteindre le double objectif d’apprentissage de cette composante et de son rôle dans la conception du projet, nous avons utilisé le cinéma afin d’immerger les apprenants dans une fiction tout en fixant un cadre temporel circonscrit. » (Verstraete, Krémer, Néraudau, 2018, p. 65-66).
Le film choisi place volontairement les étudiants dans un univers peu connu par eux. Il s’agit du film Knock. « Ce film a été mis en scène en 1951 par Guy Lefranc, d’après la pièce de théâtre en trois actes de Jules Romains : Knock ou le Triomphe de la médecine. Ce texte raconte l’installation, en 1923, d’un médecin dans un village suite au rachat de la clientèle de son prédécesseur. Knock développe son affaire d’une façon discutée en classe car peu scrupuleuse (évocation de l’éthique en affaires). Mais le film présente l’avantage de montrer la construction du BM et sa mise en œuvre. Notamment, tôt dans le scénario et jusqu’à la fin du film, le nombre de conventions présentes est important. Il est alors possible de s’interroger sur la capacité des étudiants à les identifier et à relever celles avec lesquelles Knock compose pour son business. » (Ibid. p. 66).
La boucle de recherche-action a comporté les étapes suivantes. Il faut ajouter que les étudiants ont préalablement eu un cours présentant le BM GRP et que la composante « Conventions » leur est expliqué (le cas des Etablissements Thunevin sert de cas de support et des exemples concrets de conventions sont présentés à partir de cas de créations d’entreprise accompagnés).
L’expérience a été concluante. Les résultats sont fantastiques et incitent à mobiliser davantage le cinéma dans la pédagogie de l’entrepreneuriat. Notamment le protocole a permis aux étudiants de mieux comprendre la composante Conventions et ses liens avec les autres composantes du BM GRP.
« Ce cadre place les étudiants en observateurs comme ils pourraient l’être dans une situation de consultants découvrant un nouveau contexte pour lequel leur réflexivité est sollicitée. Ils se prennent d’autant plus au jeu qu’ils doivent réaliser un dossier présenté à un consultant. La participation d’une personne extérieure à l’équipe pédagogique habituelle est également appréciée … L’expérience provoque un tel enthousiasme chez ses protagonistes qu’il est difficile de ne pas étendre l’utilisation des films dans l’enseignement de l’entrepreneuriat. » (Ibid. p. 84)
A vous de jouer :
1/ Identifier un film ou une série permettant d’expliquer la composantes Convention du BM GRP.
2/ Identifier un film ou une série, ou un extrait de film ou de série, permettant d’illustrer une ou plusieurs composantes du BM GRP (ex: revoir en note 4.5.1 l’extrait du film Matrix pour illustrer le Locus of Control).
Pour aller plus loin :
Bréchet, J.-P., Emin, S., Schieb-Bienfait, N. (2014), « La recherche-accompagnement : une pratique légitime », Finance Contrôle Stratégie, 17(2)
Catroux, M. (2002), « Introduction à la recherche-action : modalités d’une démarche théorique centrée sur la pratique », Recherche et pratiques pédagogiques en langue de spécialité. Cahiers de l’APLIUT, 21(3).
Jouison-Laffitte, E. (2009), « La recherche-action : oubliée de la recherche en entrepreneuriat », Revue de l’entrepreneuriat, 8(1), p.1-36.
Susman, G. I., Evered, R. D. (1978), « An assessment of scientific merits of action research », Administrative Science Quaterly, 23(4), p. 582-603.
Verstraete T. ; Krémer F. ; Néraudau, G. (2018). « Utilisation du cinéma en contexte pédagogique pour comprendre l’importance des conventions dans la conception d’un business model », Revue de l’Entrepreneuriat, 17(2) (lien)
Le « monde » de la création d’entreprise possède évidemment ses conventions. Certains rituels (cf. la lecture anthropologique du BM proposée en préface du C.10 ) peuvent être considérés, selon l’angle pris par le présent chapitre, comme conventionnels. Le pitch illustre remarquablement ce point, avec les travers que cela peut poser, par exemple lorsqu’une manifestation sert finalement davantage de support de communication à ses organisateurs qu’elle ne sert l’intérêt des entrepreneurs retenus pour pitcher (ils sont, dans ce cas, devenus des instruments pour les organisateurs alors que cela devrait être l’inverse …).
Le fait de créer une entreprise en France impose un certain nombre de formalités dont l’immatriculation de l’entreprise. Les CFE (Centres de Formalités de Entreprises lien) sont les interlocuteurs idoines pour recevoir les informations afférentes et procéder à tout un ensemble de formalités (comme leur nom l’indique), notamment les déclarations à envoyer à différents organismes. Ils vérifient les pièces, ils accusent réception en remettant un récépissé permettant d’engager certaines démarches sans attendre les codes liés à l’immatriculation (SIRET, SIREN, APE, …). Il convient également de publier la création de l’entreprise dans un journal d’annonces légales (ex : le Journal Officiel). Le créateur s’approchera, selon, du CFE d’une Chambre de Commerce et d’Industrie, d’une Chambre de métiers, d’une Chambre d’Agriculture, voire de l’Ursaff (cf. professions libérales).
Le Droit pose également, en matière de création d’entreprise, des règles juridiques et fiscales. Ainsi, différents statuts sont possibles: EI (entreprise individuelle), SARL (société à responsabilité limitée), SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle), SAS (société par actions simplifiée), EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée), SCI (société civile immobilière), SA (société anonyme), SCOP (société coopérative de production), association, … Chaque statut cadre les responsabilités et les propriétés, fixe des engagements (montant des apports en capital, incidence sur le patrimoine, régime social des dirigeants, etc.) et inscrit l’organisation dans un régime fiscal. C’est un des points nécessitant absolument le recours à des experts, a minima un conseiller en création d’entreprise et, s’il n’est pas suffisamment connaisseur en la matière, un expert-comptable (les cabinets ont souvent un service juridique) ou un avocat (ou autre spécialiste du Droit, notaire, etc.).
Le plan d’affaires, ou Business Plan (BP) en langue anglaise, est certes un élément tangible a priori difficile à qualifier de convention, mais les comportements qu’il suppose rend le fait de le réaliser conventionnel (qui plus est, sa qualité témoigne de l’engagement du porteur dans la conception du projet). S’il est placé dans cette note, il devra être rappelé lors de celle concernant les conventions des partenaires, puisque certains d’entre eux l’exigent (principalement les financeurs). Il ne suffira pas de leur dire que le BM est d’une pertinence supérieure (point discutable) pour s’en croire dispensé. « Le plan d’affaires (ou business plan) est la forme écrite de l’exercice de conviction communicant la vision stratégique du porteur de projet (ou des porteurs de projet) et montrant que le modèle envisagé peut générer suffisamment de valeur partageable pour être soutenu par la partie à laquelle le document est adressé, et dont des ressources sont attendues. Il inscrit le projet dans le temps par l’explicitation des ressources nécessaires et employées pour atteindre les objectifs et, ainsi, réaliser la vision. » (Verstraete et Saporta, 2006, p. 380). Cette définition montre les proximités entre le BM et le BP. Elle parle déjà de « modèle » (en référence au BM) et de valeur partageable (sans doute y avait-il là une sensibilité marquée pour ce qui allait devenir le Partage de la Valeur du BM GRP). Le BP est un document écrit. Certes l’écriture d’un BM le rapproche, par cette forme, du BP.
Mais comme son libellé l’indique, le BP est un plan, voire plus précisément: « Le plan d’affaires est un outil de planification » (Dondi, 2008, p.63; voir également Dondi, 2010). Il inscrit le projet dans le temps, généralement sur les 3 années suivant le lancement de l’affaire. Il fixe des objectifs clairs, ceux-ci conduisant à des prévisions financières relativement détaillées. Ainsi, il comporte souvent une prévision de chiffre d’affaires sur ces trois années, avec parfois trois types d’estimation (hypothèses basse, haute et probable), un compte de résultat prévisionnel et un bilan prévisionnel, un budget de trésorerie (celui-ci nécessitant la mise au jour des budgets se situant en amont : production, ventes, etc.), un plan de financement sur 3 années (avec calcul de la CAF : capacité d’autofinancement), un seuil de rentabilité, … Autrement dit, sur le plan comptable (mais également sur les plans juridique, marketing, …), c’est assez détaillé, et même si d’aucuns savent qu’il est peu probable que les résultats effectifs, dans ce registre, colleront parfaitement aux prévisions, il reste la traduction d’un effort d’anticipation basé sur des méthodes (stratégique, marketing, comptable, ingénierique, …) considérées comme éprouvées par certains partenaires (lien vers note 11.9). A ce titre, le BP possède un caractère conventionnel dans le monde de la création d’entreprise tout comme, désormais, le BM (qui est également, par nature, l’artefact de la convention naissante impulsée par le projet d’entreprendre).
Outre qu’ils servent tous les deux l’exercice de conviction, le BM et le BP se rapprochent, entre autres, de deux façons évidentes.
La première parce que le BP doit comporter le BM, même si son objet est de planifier avec des détails non forcément attendus lors de la conception du BM ou de sa présentation. Certes, la plupart du temps, il n’est pas construit autour du BM, mais gageons que le succès rencontré par ce dernier va conduire à revoir la forme du BP (c’est également avec cette idée que le logiciel GRP Storyteller a été conçu). Dans une certaine mesure, il est possible de considérer que le BP va plus loin, mais il n’est pas encore démontré, à défaut de se construire autour du BM (ce qui autoriserait, entre autres, une vision plus processuelle et moins planificatrice du BP), qu’il est plus pertinent (l’inverse est également à vérifier). Le BM, en tant qu’artefact de la convention naissante, en tant que représentation partagée du modèle d’entreprise, rend intelligible la complexité du projet.
Il s’agit d’en comprendre l’essence et, outre cette base, le « reste » paraît spéculatif. Il est alors utile de penser systémique et de se remémorer la fonction d’un modèle. Comprendre le cœur d’un projet est le minimum requis pour un partenaire potentiel. Si, qui plus est, l’intelligibilité rejoint la croyance C.10, bingo! Le partenaire veut en savoir plus, il souhaite aller plus loin en s’engageant pour l’avancement du projet (ainsi, un porteur de projet technologique obtiendra l’enveloppe permettant de réaliser l’étude de marché, la recherche en propriété industrielle, le développement technique, …).
Un deuxième rapprochement du BP et du BM peut s’effectuer par leur caractère narratif respectif. L’une des vertus du BP est d’inciter le créateur à écrire son projet. Cette démarche convoque le pouvoir émancipatoire de l’exercice de formalisation (cf. Audet, 2004, qui utilisait cette expression à l’égard de la cartographie cognitive) en faisant penser à des choses auxquelles n’aurait pas pensé l’individu s’il ne s’y était pas engagé. Quant au BM, impossible d’obtenir l’adhésion effective de partenaires potentiels s’il ne leur est pas exposé, et plus encore raconté. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes adeptes du storytelling dans notre approche du BM, notamment pour préparer à l’exercice de conviction (lien). C’est aussi en cela que nous travaillons une conception mythique du BM C.10 et on remarquera d’ailleurs que certains BM le sont devenus (n’est-ce pas le cas lorsqu’on parle d’ubérisation ?).
Sans exhaustivité, ce qui sépare le BP du BM, c’est d’abord leur nature. Le BP est une formalisation écrite, forme que peut revêtir le BM lorsqu’on le raconte en écrivant, mais celui-ci est avant tout une représentation partagée ou selon la perspective conventionnaliste, une convention (plus exactement, l’artefact de cette convention).
Ensuite, le BP se présente, dans son contenu, comme une articulation de dimensions disciplinaires s’enchainant : marketing, techniques, juridiques, humaines, financières, etc. Ces disciplines se fondent dans le BM, c’est-à-dire dans ses composantes sans appartenir à une seule puisque le BM est un système. Ainsi, le BM est « transdisciplinaire ». Ce n’est parfois pas sans poser problème dans la conception du BM, lequel peut manquer d’outils singuliers, c’est-à-dire pensé pour lui. Il ne s’agit pas de condamner les outils existants, loin s’en faut, mais la composante Conventions du BM GRP illustre la nécessité d’outil nouveaux, notamment pour identifier les conventions. Ceci dit, à croire le BP plus complet que le BM, parce que plus détaillé dans ce qu’il contient, une erreur est commise. Le BM, selon sa conceptualisation, peut apporter davantage d’intelligibilité. La recherche de détails sert alors soit à rassurer, soit à répondre aux exigences des outils généralement utilisés dans le montage d’un dossier et dont l’utilisation n’est pas qu’un respect des conventions, mais plutôt un effort (ou essai) d’anticipation.
Nous relatons ici un test effectué il y a quelques années lors de la présentation des projets de création d’entreprise de porteurs à des jurys (3) se tenant en parallèle (une vingtaine de projets sont ainsi évalués). Ces jurys comportent une majorité «d’habitués » de l’exercice (agent bancaire, conseiller en création d’entreprise de CCI ou de chambre de métiers ou technopoles, capital-risqueur, entrepreneur, …) que nous sollicitons chaque année, ainsi que des personnes rejoignant l’équipe pour la première fois.
Alors que précédemment nous leur transmettions un BP, cette année-là nous leur avons transmis un BM de chaque projet raconté avec le recours au logiciel GRP Storyteller (l’application collaborative disponible sur GRP-Lab.com), dans le format le plus complet, à savoir ce que nous nommons Script (puisque GRP Storyteller permet également une édition en format Poster, comportant 9 phrases et une édition nommée Storyboard autorisant 9 paragraphes bénéficiant d’une possible illustration graphique (lien). Le lecteur connaissant le logiciel sait que la forme des documents transmis est alors la même, bien que le contenu change puisque singulier au projet. La structure du document est également identique (une page de garde, une page de sommaire reprenant les composantes du BM GRP, deux pages résumant chaque composante en un paragraphe pour chacune d’entre elles et ensuite deux pages par composante dont une doit, à notre sens, faire voir ce qui est écrit dans l’autre). Suite aux jurys devant lesquels les candidats ont pitché, une réunion permet de débriefer. Alors que nous nous attendions à quelques remarques sur ces documents transmis, au format identique et moins détaillés qu’un BP, pas de retour à ce sujet… En fin de réunion nous avons alors très directement questionné les protagonistes afin de recevoir leur sentiment sur cette forme. Unanimement, tous les membres du jury ont trouvé qu’elle convenait parfaitement à l’exercice, c’est-à-dire, associée au pitch, qu’elle suffisait pour comprendre et être convaincu (ou non) et que le caractère systématique des présentations écrites facilitait le travail d’évaluation lors d’une matinée où les dossiers s’enchainent.
S’agissant d’éventuels détails non présentés (notamment sur le plan financier, tel qu’un budget de trésorerie par exemple), le propos consistait à dire qu’il est toujours possible de revoir les candidats pour aller plus loin, mais que pour ressentir le souhait de poursuivre ou non la relation avec les candidats, le matériel fourni était suffisant. Autrement dit, le pitch du BM et sa formalisation écrite permettent à la fois de rendre intelligible et, le cas échéant certes, de convaincre pour entamer une relation (les projets ayant été accompagnés et les présentations ayant fait l’objet d’un coach, l’intelligibilité, sauf cas hétérodoxes rares, est toujours globalement présente). Il n’est pas dit que cette relation perdurera, mais le contact est pris. Cela veut aussi dire que certains membres du jury demanderont, ensuite, un BP 11.9. Celui-ci n’est pas mort et on ne le brulera pas (Gumpert, 2002), disons que ce n’est pas d’actualité, même dans un ouvrage traitant du BM.
Le « monde » de la création d’entreprise comporte bien d’autres conventions qu’un conseiller aidera à identifier. Elles concernent également chaque composante du BM, la construction de contenu (de l’équipe, de l’offre, etc.) et la façon d’y procéder méthodiquement, etc.
A vous de jouer :
1/ Lire le chapitre de Marion et Senicourt (2003) et discuter son actualité.
2/ Identifier d’autres conventions génériques de la création d’entreprise.
Pour aller plus loin :
Audet, M. (1994). « Plasticité, instrumentalité et reflexivité », dans Cossette, P., Cartes cognitives et organisations, Presses de l’Université de Laval, Ed Eska (réédité en 2003 aux éditions de l’ADREG)
Dondi, J. (2008). « Le plan d’affaires d’un projet de création d’entreprise : quelques rappels issus de la littérature et problèmes posés par son emploi », La Revue du Financier, 170, p.61-77)
Dondi, J. (2010). « Le Business Plan », dans Verstraete, T. (dir.), Préparer le lancement de son affaire – guide à l’usage du créateur et de son conseiller, de Boeck Université.
Gumpert, D.E. (2002). Burn your business plan ! What investors really want from entrepreneurs, Needham, MA : Lauson Publishing Co.
Marion, S. ; Sénicourt, P. (2003). « Plan d’affaires – réponses aux nécessités et réduction des hasards », dans Marion, S. ; Noel, X. ; Sammut, S. ; Senicourt, P. Réflexions sur les outils et les méthodes à l’usage du créateur d’entreprise, Les Editions de l’Adreg, (téléchargeable ici)
En lien direct avec la fin du propos de la note précédente 11.8, le porteur d’un projet accompagné respectera la charte (ou parfois un contrat plus étayé) de la structure d’accompagnement l’hébergeant. Les conventions de ce partenaire concernent souvent le comportement à adopter (surtout si sa structure dispose d’un espace de travail collaboratif), la méthode à suivre (livrables, maturation, conviction) et parfois des engagements financiers (loyers, éventuellement retour vers la structure lorsque l’affaire devient profitable, communication, …).
Le tableau des parties prenantes (cf. C.10) renseigne, d’une part, sur leurs conventions en incitant l’entrepreneur à comprendre leurs apports, leur attende, leur pouvoir et leur attitude et, d’autre part, sur les espaces à investir pour comprendre les conventions touchant la chaîne de valeur. Il s’agit, à partir des partenaires participant au projet productif en création, d’identifier les conventions relatives à leur propre projet productif et donc aussi à leur propre chaîne de valeur. Celle-ci concerne en première lecture la composante « Fabrication de la Valeur », mais le périmètre à considérer s’élargit rapidement, surtout si l’on s’accorde à prendre une perspective conventionnaliste du BM. C’est en fait le BM des autres organisations qu’il convient de considérer, notamment lorsqu’il touche celui du projet porté (le système de valeur regroupant les chaînes de valeur sera évoqué lors du chapitre 12). Ceci dit, le BM des partenaires effectifs ou potentiels évoluent également dans des espaces sociaux, de différents périmètres, porteurs de conventions avec lesquelles ils composent. L’ensemble écosystémique ainsi formé est complexe par nature et difficile à appréhender, particulièrement par les primo-entrepreneurs.
fin d’illustrer, s’agissant des partenaires en amont de la chaine de valeur de l’entreprise naissante, ces conventions peuvent formellement concerner très pratiquement le versement d’un acompte, le délai de paiement, etc. De façon plus tacite, la façon de négocier est également à « décoder ». En effet, dans certains secteurs, par exemple, les prix ne se négocient pas, ou sont régulés par des intermédiaires ; ainsi en est-il dans le business du vin bordelais où les quantités disponibles répondent à un principe d’allocation (les quantités disponibles étant limitées) généralement relié à un historique d’achat. Ne pas acheter la même quantité que l’année précédente expose à ne plus obtenir ce volume l’année suivante s’il devait être à nouveau désiré. La façon de négocier peut également concerner une zone géographique, un espace culturel, une histoire relationnelle, un métier, etc. A propos du métier, les conventions qui lui sont inhérentes sont en partie transmises lors des apprentissages (école, compagnonnage, stage, …). Les chapitres de la dimension Rémunération de la Valeur reviendront sur les conventions de présentation des éléments financiers, qu’il s’agisse des normes ou de ce qui est négociable en fonction de l’apport réalisé. Nous pensons ici aux conventions liées au métier des partenaires financiers (comme évoqué lors de la note précédente, par exemple, le BP reste un document souvent attendu dans lequel, entre autres, les engagements et les équilibres financiers sont étudiés).
A propos du financement du projet, il faut ici mentionner le pacte d’actionnaires qui revêt indéniablement un caractère conventionnel. «Le pacte d’actionnaires établit le cadre juridique des relations entre les créateurs et les investisseurs. C’est le document de référence qui fixe les modalités et la nature des relations entre, d’une part, le ou les créateurs et, d’autre part, le ou les investisseurs (Paoli-Gagin et de Lalande, 2000). C’est un document « sur-mesure » qui répond aux besoins et aux spécificités de chaque opération de capital-risque.
L’entrepreneur se doit d’être particulièrement attentif à la rédaction de ce pacte d’actionnaires. Ce document présente en effet une dimension straté- gique. Les enjeux juridiques du pacte d’actionnaires tiennent à la fois à la validité des opérations réalisées, aux conditions des engagements pris par les actionnaires et à la mise en cause de la responsabilité des investisseurs (Monod, 2001).
Les clauses qui peuvent être intégrées dans un pacte d’actionnaires sont très nombreuses. Elles se répartissent entre celles qui définissent le con- trôle, celles qui organisent le suivi de la participation et celles qui portent sur la sortie du capital (Battini, 2001 ; Stéphany, 2003). » (Rédis, 2010, p. 256-257). On lira également avec intérêt le texte de Pascale château-Terrisse (2015).
Les conventions relatives à un espace culturel, et à défaut d’y avoir suffisamment baigné, impliquent généralement d’entrer en contact avec des acteurs, parfois institutionnels ou d’autres recommandés par eux, pour les comprendre. Faire du commerce avec des pays où la culture est différente ne s’improvise pas et il est prudent de s’informer auprès des ministères, des ambassades, des Chambres de Commerce et d’Industrie, etc. qui disposent de services aidant a minima à connaître les coutumes, les hiérarchies, les valeurs, etc. et les formalités (sécurité, lois, moyens de paiement, douane, règles de courtoisie, …).
L’outil PESTEL sera rappelé lors du chapitre 12 relatif à l’écosystème. Son acronyme indique que la scrutation d’un espace considéré et la mise en place d’une veille à son propos gagnent à regarder en six directions (pour à la fois y repérer des pratiques et des possibilités d’évolution) : Politique, Economique, Sociale, Technologique, Ecologique et Légale. Chacune de ces dimensions aident à s’interroger sur les conventions.
A vous de jouer :
1/ A partir du tableau des parties prenantes, qualifier les conventions repérées.
Pour aller plus loin :
Château-Terrisse, P. (2015). « Les mécanismes de coordination de pactes d’actionnaires dans la finance solidaire », Revue Française de Gestion, 246(1), p. 111-126
Rédis, J. (2009). Finance entrepreneuriale – Le créateur d’entreprise et les investissements en capital, de Boeck Université
Rédis, J. (2010). « Identifier les financements possibles pour mieux les négocier », dans Verstraete, T. (dir.), Préparer le lancement de son affaire – guide à l’usage du créateur et de son conseiller, de Boeck Université
Dans les faits, les conventions propres au projet découlent plutôt d’un ensemble important de contingences (la technologie, la culture, les métiers, le secteur d’activité, …).
Elles relèvent parfois d’un contexte familial lorsque le conseil de famille joue, à côté des autres organes de gouvernance, un rôle clé à la fois dans ses contenus formels (règlement intérieur) et dans ses orientations plus tacites (engagement moral).
Des conventions se construisent souvent à partir de la culture que souhaite mettre en place l’équipe fondatrice. Le leadership de celle-ci fixe, dans l’organisation, des valeurs (Schein, 1983, 1989), même s’il n’est pas rare que le développement de l’organisation conduise à leur « révision » (exemple : souhait délibéré, au lancement, d’une structure plane en apparence sans hiérarchie formelle révisée par la nécessité d’une organisation plus verticale pour améliorer la coordination d’une entreprise en croissance).
Pour illustrer, la suite de cette note restitue quelques conventions liées à la nature du projet et tirées de quelques projets accompagnés ou mises au jour dans le cadre de nos activités.
Ce pépiniériste compose avec les conventions horticoles et la convention collective nationale des jardineries et graineteries du 3 décembre 1993 qui instaure les règles et les usages pour la commercialisation des produits pour les établissements dont l’activité principale ou secondaire se caractérise par la distribution de végétaux, de fleurs, de produits phytosanitaires, de produits et d’articles de jardinage, et généralement toutes les fournitures pour le jardin et l’environnement. Il se comporte également en conformité avec les règles du Bureau Horticole Régional pour ce qui a trait aux méthodes de mise en culture (dosage des traitements, maturité du végétal avant sa vente, …). La vente au détail nécessite une formation pour certains produits (engrais, désherbants, …) et leur mise en rayon. L’entreprise accueillant du public se conforme au code de la construction et de l’habitation en ce qui concerne la prévention et la lutte contre l’incendie, l’accessibilité (notamment aux personnes handicapées), l’évacuation des lieux et autres dispositions d’hygiène et de sécurité.
Ces règles liées à l’hygiène et à la sécurité sont très présentes dans le cadre de la création d’un restaurant. Ainsi, Léo (porteur du projet « Goût du voyage »), outre les normes sanitaires (chaîne du froid, tenues vestimentaires,…) et les rituels de service en salle, insiste sur l’importance du climat de bienséance régnant entre les restaurateurs du lieu d’implantation choisi. Comme pour toutes les branches d’activité, il a étudié la convention collective, ici celle des Hôtels, Cafés, Restaurants. Plus largement, toutes les activités délivrant des produits alimentaires doivent respecter des procédures et des normes (maintien de la chaîne du froid, étiquetage des produits, qualité, …). Que dire des produits biologiques, dont la certification et le label répondent à un cahier des charges stricts, ou des produits couverts par une AOP.
Le commerce en ligne et plus largement les entreprises du numérique sont guidées dans leur comportement par des conventions tenant au paiement, à la sécurisation des données par le RGPD, à l’ergonomie du site, à la gratuité de certains services, au type de paiement, aux codes des plateformes de référencement, aux informations et mentions obligatoires, aux comportements des communautés visées, aux moteurs de recherche, aux référencements, aux codes des influenceurs, etc.
Mélanie a cerné les conventions du milieu de la presse et ceux du milieu de la mode pour son projet de magazine en ligne. Formellement, elle répond à la déclaration initiale de dépôt légal à la Bibliothèque Nationale de France, ou à la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles. « Pour obtenir la fiscalité des entreprises de presse et ainsi être exonéré de la taxe foncière des entreprises (CET), il faut demander le régime économique de presse auprès de la Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse (CPPAP) ». S’agissant des conventions relatives au monde du luxe (certes l’expression renvoie à un périmètre multidimensionnel), Jordan a renoncé à lancer son projet d’événementiel à la date initialement prévue pour travailler dans une entreprise lui permettant de mieux décoder ces conventions et aussi gagner en légitimité. Il s’agit, pour ce « monde », d’en avoir la pratique (vocabulaire, façon d’aborder les personnes et de gérer les problèmes ou les exigences, tenue, choix des prestataires, réactivité, …).
Armandine porte un projet d’apport de garantie pour étudiants du continent africain désirant poursuivre leurs études en France. Outre la connaissance des conventions du secteur bancaire et autres conventions formelles, ses origines lui confèrent un avantage dans ses relations avec ces étudiants et éventuellement leurs référents locaux. C’est d’ailleurs, pour eux, également rassurant d’être en relation avec une personne qui connaît autant les aspects explicites du business imaginé que les dimensions tacites liés aux relations particulières à entretenir avec ses cibles.
Il y aurait encore beaucoup à dire, pour ce projet dans le domaine de l’immobilier porté par Solène et Julien, visant à mettre en relation des jeunes peinant à trouver une location dans la ville de Bordeaux et des séniors disposant au moins d’une chambre à louer. Ils identifient les conventions principales reprises dans l’illustration ci-contre.
Mohamed est le fondateur de Citizschool, compose avec les valeurs de l’économie sociale et solidaire, de l’entrepreneuriat social, de la façon d’apprécier la performance de ce type de structure, de gouvernance, de concurrence, etc. L’entrepreneuriat culturel et créatif comporte également des dimensions singulières. Ainsi, dans une étude de cas (Antonaglia et al, 2019), l’étude des missions scientifiques, culturelle et économique s’exposerait à une lecture conventionnaliste montrant comment les conventions inhérentes à ces missions se concurrencent alors qu’il convient de les concilier.
Les exemples sont tellement nombreux que cette note pourrait être très longue. Il serait également possible d’ajouter des notes en élargissant la typologie des conventions ici limitée (autrement dit, il n’y aurait pas que les conventions de la création d’entreprise, des partenaires et du contextes, de la nature du projet). Mais l’idée est moins d’inciter les porteurs de projet à venir y piocher des idées que de les inciter à les identifier ailleurs. Ici, avant de terminer ce qui ne fait qu’illustrer, sont évoquées les conventions des projets technologiques émanant de la recherche, dont la valorisation est aidée par la connaissance des institutions dont certaines réfèrent aux comportements des intéressés (le propos aurait ainsi pu prendre place dans la note précédente). Ainsi, comme le dit l’épisode 12 de la saison 1 de la web-série, les chercheurs peuvent être davantage intéressés par une reconnaissance académique (publications dans les grandes revues scientifiques) que par une réussite économique. Connaître le fonctionnement d’un laboratoire public de recherche et, plus encore, en avoir l’expérience est parfois la condition sine qua non pour obtenir la légitimité (en premier lieu académique) et pour accroître l’intelligibilité permettant de comprendre les comportements éventuellement retors (heureusement rares), lesquels peuvent découler de pratiques ou d’un historique relationnel avec une industrie. Moins politique, l’expérience de ce milieu offre à l’observateur, et plus encore à l’acteur, un regard moins critique sur les relations entre le monde de la recherche et celui de l’industrie, peut-être moins distantes qu’on ne le dit, et entretenues depuis longtemps. Elles sont appelées à se développer encore, notamment depuis la loi apportant à l’Université une plus forte autonomie. Le chercheur souhaitant entreprendre en exploitant les résultats de ses travaux, ou le porteur d’un projet de création d’entreprise innovante exploitant ceux-ci, s’approchera des SATT (société d’accélération du transfert de technologie) et des vice-présidences universitaires ayant en charge ce périmètre pour décoder les conventions, , complexes et imbriquées, des milieux concernés.
Enfin, pour terminer, il convient d’évoquer les éléments de gouvernance du projet, lesquels cadreront les relations (donc les comportements) entre les actionnaires ou entre les sociétaires, mais plus largement entre les parties prenantes. C’est un vaste sujet. Pour ce qui concerne l’entreprise naissante, nous renvoyons à la note 4.4.
A vous de jouer :
1/ Sur la base de cas concrets (la création d’une crèche, d’une application pour téléphone mobile, …), identifier les conventions de façon générique (typologie) pour y ranger des conventions plus singulières (ex : les conventions liées à la préservation des œuvres ou du patrimoine, celles relatives à la fiabilité du discours scientifique, etc. rangées dans le type «conventions scientifiques »)
Pour aller plus loin :
Anonaglia, F. ; Verstraete, T.; Néraudau, G. (2019). « The conciliation of the scientific, cultural and economic missions of a cultural company through the entrepreneurial orientation of its business model. The case of Semitour», 15th International Conference Arts and Cultural Management AIMAC, Ca’ Foscari University of Venice, ItalySchein, E.H. (1983). « The role of founder in creating organizational culture», Organizational Dynamics, Summer
Schein, E.H. (1898). Organizational culture and leadership, second edition, Jossey-Bass Publishers, San Francisco
Cette note reprend, sur les pages qui suivent, des extraits de quelques-unes de nos publications pour livrer notre acception de la convention. Les dernières d’entre elles plaident pour une conception transdisciplinaire de la convention, combinant par exemple l’informel et le formel, l’explicite et le tacite, etc.