Note 6.1 : Formuler une promesse et la tenir
Note 6.2 : Tâche, activité, processus
Note 6.3 : Le caractère itératif du processus entrepreneurial : capter les ressources, les organiser,
livrer la valeur
Note 6.4 : La captation des ressources
Note 6.5 : L’organisation des ressources
Note 6.6 : La structure de l’entreprise
Note 6.7 : Lecture anthropologique du Business Model (1/2)
Note 6.8 : Maîtriser l’organisation : contrôle stratégique, contrôle de gestion, contrôle opérationnel
Note 6.9 : La communication
Note 6.10 : Les canaux de distribution
Note 6.11 : Les systèmes de gestion
Note 6.12 : L’entrepreneur DRH
Note 6.13 : Des échanges de valeur optimisés par les politiques afférentes
Note 6.14 : Le recours au conseil
Note 6.15 : Retour sur la structuration de l’entreprise : la départementalisation
Note 6.16 : Anticiper la structuration de l’entreprise, la mettre en œuvre
Note 6.17 : La négociation autour de l’échange de(s) valeur(s)
Note 6.18 : Concurrence dans la captation des ressources
Note 6.19 : Improvisation et bricolage, raisonnement et mise en oeuvre (ou, à nouveau, se donner les moyens de ses ambitions et composer avec les moyens du bord)
Note 6.20 : Quelle valeur fabriquer
Note 6.21 : Durable, vous avez dit durable …
Si on peut voir la Proposition de valeur comme une promesse formulée au marché, encore faut-il la tenir 6.1. Autrement dit, il convient de fabriquer la valeur promise en concevant le processus correspondant 6.2. Le Business Model GRP propose une lecture de celui-ci en trois étapes imbriquées de façon moins linéaire qu’il n’y paraît 6.3.
Dans un premier temps, l’entrepreneur démontre sa capacité à capter les ressources identifiées comme nécessaires à son projet 6.4.
Certaines de ces ressources sont tangibles et donc directement observables (par exemple un local, ou l’outillage de production, …).
D’autres sont intangibles (par exemple une compétence, une marque ou encore une licence d’exploitation).
Les ressources financières, souvent considérées comme tangibles, sont toutefois particulières car elles facilitent l’accès aux autres ressources, sans le garantir … l’argent ne fait pas tout …
Dans un deuxième temps, les ressources réunies doivent être agencées en activités productives. Il s’agit de concevoir l’organisation de ces ressources. C’est, en quelque sorte, la réponse qu’un entrepreneur donnerait à la question qu’un partenaire potentiel pourrait poser : si vous aviez toutes les ressources que vous jugez nécessaires à la réalisation du projet, concrètement, qu’en feriez-vous ? 6.5
Cette organisation concerne la capacité de production, mais plus largement elle implique de structurer l’entreprise, notamment en répartissant les tâches et en affectant des responsabilités 6.6. Elle peut également concerner les valeurs et la culture 6.7 souhaitée pour l’entreprise, ainsi que les dispositifs de contrôle 6.8.
L’organisation productive se poursuit jusqu’au troisième temps du processus, lors duquel l’entreprise communique sur l’offre 6.9 et apporte celle-ci au consommateur par un ou plusieurs canaux de distribution 6.10.
Lors de ces trois temps, les systèmes de gestion 6.11 jouent un rôle particulier pour garantir et optimiser la fabrication de la valeur.
D’une part, ils facilitent le fonctionnement de l’organisation tout en respectant les conventions. Par exemple, la gestion ou le management des ressources humaines favorise le climat social et mobilise les compétences des salariés tout en suivant le cadre posé par le code du travail 6.12.
D’autre part, les systèmes de gestion optimisent les relations avec les parties prenantes par la mise en place de politiques correspondantes. Par exemple, la politique marketing vise l’optimisation des échanges avec les clients, la politique salariale avec les salariés, la politique d’achat avec les fournisseurs, etc. 6.13. Chacune de ces politiques fait appel à des méthodes et à des outils que des spécialistes peuvent aider à comprendre et à mettre en œuvre. Il n’est pas rare qu’un créateur d’entreprise se fasse aider par un expert-comptable pour la gestion comptable, ou d’un juriste pour la gestion juridique et les statuts à adopter 6.14. Si l’entreprise gagne en taille, ces expertises peuvent donner lieu à la naissance d’un département spécifique (département des ressources humaines, département marketing, département financier, etc.) 6.15.
Ces trois temps du processus de fabrication de la valeur offrent l’avantage de conduire le créateur à penser, précocement, le développement de l’entreprise 6.16. Ils lui permettent aussi de comprendre que les ressources à réunir sont de natures différentes et qu’outre leur identification, les négocier avec les parties prenantes potentielles ne va pas de soi. Ils conduisent enfin à considérer l’ambiguïté du concept de valeur, lequel se relativise à chaque partie prenante, même si la priorité est donnée à la valeur fabriquée pour le client 6.17.
Le créateur retiendra également que les ressources de qualité semblent se raréfier, parce que tout le monde les veut. Et ce ne sont pas forcément les concurrents directs qui convoitent les mêmes ressources. Par exemple, dans une rue commerçante, un local particulièrement bien situé pourrait servir autant un projet de restauration rapide qu’un point de vente de consoles et de jeux vidéos 6.18.
Ceci dit, l’entrepreneur ne parvient pas obligatoirement à réunir l’ensemble des ressources jugées les meilleures. Il n’a peut-être pas réussi à signer le bail pour le local idéalement situé, ou à contractualiser avec le salarié classé numéro 1 dans sa liste suite aux entretiens de recrutement.
Le projet n’en est pas forcément réduit à néant.
Ainsi, s’il faut « se donner les moyens de ses ambitions », il convient également de « composer avec les moyens du bord ». Traduites en faits, ces expressions entretiennent une relation en apparence paradoxale. Elles conduisent, pour la première, à être le plus efficace possible en obtenant les meilleures ressources et, pour la seconde, à être le plus efficient possible en optimisant la coordination des ressources effectivement possédées ou accessibles 6.19. Les parties prenantes sont sensibles à cette capacité permettant à l’entrepreneur de confirmer qu’il sait y faire 6.20 et que l’organisation développe des compétences autorisant l’accès durable aux ressources afin de pérenniser et de développer le projet 6.21.
Accéder à l’animation vidéo de ce texte.
La première phrase du chapitre (cf. encadré ci-dessous) est une formule que nous employons depuis de nombreuses années pour expliquer que la Fabrication de la valeur est une composante relative à la façon dont le créateur compte s’y prendre pour réaliser son projet. Nous proposons aux créateurs de se placer en situation de présentation de ce dernier. Lors de cet exercice, un évaluateur, pensant avoir compris la Proposition de valeur (alors qu’il lui faut sans doute également comprendre la Fabrication de la valeur pour confirmer cette appréhension) formule parfois une demande de ce type :
« imaginons que vous ayez réuni les ressources dont vous avez besoin pour lancer votre projet, comment vous y prenez-vous (pour produire, vendre, livrer, contrôler, gérer,…) ? ». Autrement dit, il s’agit de présenter la façon dont « l’organisation est organisée»… Ne pas savoir répondre très clairement (ce qui ne veut pas dire de façon très détaillée) à cette interrogation, c’est confesser que le projet n’est pas prêt et que la conception du BM nécessite encore du travail …
A vous de jouer :
1/ Quels liens établissez-vous, de façon générique, entre la Proposition de valeur et la Fabrication de la valeur ?
2/ Dans le cadre de votre projet, quels liens établissez-vous entre la Proposition de valeur et la Fabrication de la valeur ?
Une tâche est ici considérée comme une action élémentaire réalisée pour accomplir un travail. Une activité est un ensemble ou une combinaison de tâches. Un processus est un enchainement d’activités. La note suivante 6.3 précise que le processus n’est pas forcément linéaire, l’enchainement est à voir comme la structure logique du processus.
Si la tâche sert de base à l’organisation, il s’agit, de façon prosaïque, de définir les choses élémentaires à faire (quoi ? Comment ? Qui ? Quand ? …). La tâche prend sens dans la façon dont elle se combine à d’autres tâches pour donner naissance à des activités pouvant constituer des capacités remarquées à bien savoir faire la chose observée. Plus avantageusement, selon l’approche par les ressources dans le champ de la stratégie, ces capacités gagnent à être transformées en compétences pour dominer la concurrence ou protéger ses marchés 2.1.
Ceci dit, dans les faits, la frontière entre le concept d’activité et celui de processus est souvent floue. Cette difficulté s’exprime également lors de la mise en place d’une comptabilité analytique basée sur le coût des tâches (cf. Activity Based Costing) ; dès que quelque chose est fait, cela coûte (la différence entre la rémunération de la valeur générée par les tâches, les activités et les processus et les coûts engagés à cet effet, lorsqu’elle est positive, correspond à un bénéfice, lorsqu’elle est
négative, à une perte).
Pour prendre un exemple simple, le projet d’une fête des écoles comporte différents processus (afférents au spectacle sur scène, à la restauration, aux jeux, …) recouvrant différentes activités, parmi lesquelles la tenue du bar. Celle-ci est elle-même composée de tâches élémentaires telles que prendre les commandes, préparer celles-ci, servir les tables, … Il est aisé de comprendre, par rapport à cet exemple trivial, à quel point l’organisation d’une entreprise est plus complexe et nécessite d’être pensée par une vision ingénierique de la Fabrication de la valeur. Cette approche est processuelle dans le sens où elle conduit à concevoir une organisation identifiable faisant alors apparaître une évolution ou une transformation (par exemple expliquant comment des matières entrent dans un processus d’une entreprise manufacturière pour devenir des produits finis), qui plus est reproductible.
Ce caractère est généralement guidé par des procédures, lesquelles fixent les règles du déroulement des opérations qu’elles cadrent. Ceci étant, il ne faut pas confondre processus et procédures. Le processus est plus large et comporte des dimensions que la procédure ne peut pas forcément prévoir (ex: intentionnalité de l’opérateur). Dans une certaine mesure, à ce stade, on peut voir le processus comme une organisation globale produisant un livrable, tandis que la procédure est un cadre formel sur la façon d’opérer (laquelle peut devenir conventionnelle, par exemple à travers une norme imposée ou un label convoité, lequel impose, entre autres, un cahier des charges sur la façon de procéder comme il en est pour les produits labélisés biologiques).
Le porteur d’un projet de création d’entreprise saura, lors de la présentation du BM, parler du processus de Fabrication de la valeur sans obligatoirement être en capacité de détailler les procédures nécessaires à la réalisation du livrable. Ces procédures, dont la conception influence le processus car elles nécessitent d’apprécier très concrètement les possibles, appellent des compétences éventuellement non possédées par l’entrepreneur.
Celui-ci peut d’ailleurs être en phase de levée de fonds soit pour recruter à cet effet un personnel qualifié, soit pour sous-traiter cette partie à un cabinet spécialisé (ex : un cabinet dessinant les plans de l’atelier et concevant, avec l’entrepreneur et les fournisseurs de matériel, l’agencement productif).
A vous de jouer :
1/ Identifier les tâches, activités et processus d’une e-boutique de goodies d’une université tenus par des étudiants.
2/ Identifier les tâches, activités et processus de votre organisation.
Il convient, en premier lieu, d’évoquer les nombreuses tentatives de mise au jour du processus entrepreneurial, qu’il s’agisse d’en proposer une acception générale ou une modélisation plus contextuelle (ex : le processus d’une reprise d’entreprise par une personne physique initialement extérieure à l’organisation, comme l’a par exemple proposé Deschamps, 2000).
Dans ces efforts de mise au jour du processus entrepreneurial, la relation au temps est parfois originale, voire oubliée, y compris, en entrepreneuriat, dans des modèles célèbres très cités. Mais faut-il composer avec le temps dans une conceptualisation du processus entrepreneurial ? Il n’y a pas de réponse générique. Cela dépend de l’intention de l’auteur et de l’acception donnée au terme processus.
Parce que nous nous intéressons ici au processus de la Fabrication de la valeur d’un projet entrepreneurial, et moins à une théorie du processus générique de l’entrepreneuriat, il nous semble préférable de répondre positivement à la question précédente. Mais le temps présente deux facettes.
La première concerne le repérage des enchainements d’activités. La conception d’un processus nécessite de placer des étapes, des phases ou des séquences afin d’organiser l’enchainement des tâches et activités du processus. La seconde renvoie à la durée d’accomplissement des tâches et des activités. Il s’agit alors du temps qui s’écoule entre, pour illustrer, la consommation des matières et le produit fini (les gestionnaires de projet connaissent les difficultés associées à ces deux aspects et mobilisent des logiciels spécialisés afin de programmer, par exemple, la réalisation d’un chantier).
En combinant ces temps, il s’agit moins de dire qu’un processus possède un début et une fin que d’identifier des inputs marquant le démarrage d’un processus et des outputs (des livrables) signalant son aboutissement avec, entre ces deux balises, une évolution ou une transformation revêtant un caractère programmatique.
Pour représenter le processus générique d’une entreprise, le plus simple serait de placer sur un axe temporel les trois phases suivantes : achats – fabrication – ventes (évidemment, de nombreux points liés à la production, à la gestion ou au contrôle s’accolent à cette vision). Ainsi vue, une entreprise manufacturière achète des matières, les transforme en produits qu’elle vend aux clients. Cette présentation en apparence simple est tout-à-fait recevable et peut être complexifiée à loisir. Pour certains projets que nous accompagnons, elle convient parfaitement. Le créateur prend alors conscience que ce processus générique comporte des activités (relatives aux achats, à la production, à la vente). Il doit savoir dire comment il se procure les matières, comment il les intègre dans une transformation pour produire un livrable, comment il vend celui-ci et l’apporte aux clients avec les services associés attendu par ceux-ci (conseil, maintenance, SAV,…). Cette conception s’aménage, tout autant, à loisir à la singularité du projet, par exemple dans un contexte de e-business, ou d’une société de services, etc. Ce faisant, notre expérience a montré qu’il est alors préférable d’amender le discours, cette modification générant une représentation plus complexe (ce qui ne veut pas dire plus compliquée). Cette représentation convient d’ailleurs davantage à notre perspective systémique et à l’exercice de modélisation du BM par le modèle GRP.
Le cycle de Fabrication de la valeur suggéré est le suivant : capter les ressources, organiser les ressources pour produire la valeur, délivrer celle-ci. La linéarité de ce processus, à nouveau, se discute, puisque, par exemple, certaines ressources s’acquièrent par l’organisation des ressources déjà possédées et préalablement agencées. Autrement dit, l’organisation produit des ressources. Ainsi en est-il du développement d’un savoir-faire par l’apprentissage des tâches, des activités et des processus. L’entrepreneur, notamment le primo-entrepreneur, développera des compétences dans l’exercice entrepreneurial. Mais chaque membre de l’organisation va gagner en compétences dans la réalisation des tâches qui lui sont confiées. Au-delà du bon sens inhérent à cette assertion, les responsables des Ressources Humaines ou les chercheurs dans ce domaine ont largement travaillé cette dimension de l’apprentissage et du développement des compétences.
Cette faculté de l’organisation à produire de la ressource s’exprime également comptablement avec la capacité d’autofinancement. Elle se constate aussi dans les conditions mises en œuvre pour délivrer la valeur, donc en apparence en aval de l’organisation. En effet, dans les faits, livrer la valeur nécessite toujours d’organiser les ressources pour participer à la valeur perçue par le client. Il s’agit essentiellement de la partie logistique et de la communication.
Autrement dit, les trois phases se recouvrent et l’enchainement proposé (capter les ressources, les organiser, délivrer la valeur) vise à inciter le créateur à clairement, lors de la présentation de la Fabrication de la valeur de son projet :
• exposer les ressources qu’il compte réunir ;
• présenter le schéma d’organisation d’ensemble de l’entreprise ;
• expliquer comment, jusqu’à l’acquisition de l’offre par le consommateur (voire après, ex : SAV), tout est mis en œuvre pour que cette offre soit comprise et accessible.
Pour ces trois points, l’entrepreneur fera preuve de conviction : convaincant dans sa capacité à réunir les ressources, à penser une organisation pertinente, à livrer l’offre aux clients en mettant en œuvre les éléments de leur durable satisfaction.
A vous de jouer :
1/ Dessinez le processus de Fabrication de la valeur telle que vous la concevez aujourd’hui.
Pour aller plus loin :
Marpeau, J. (2011). Le processus éducatif, Érès Deschamps 2000
La captation des ressources ne se réduit pas à l’approvisionnement des matières premières pour alimenter la production d’une entreprise manufacturière. Les ressources sont ici considérées, dans un premier temps, comme des inputs entrant dans la réalisation d’une tâche (d’une activité, d’un processus). Elles peuvent être de natures très différentes, comme la note 2.1 le rappelle (un local, des machines, une licence d’exploitation, un savoir-faire, l’accès à un réseau, une expérience, des fonds financiers, une marque, une réputation, …).
La captation des ressources suppose d’avoir identifié celles permettant d’effectuer les tâches, les activités, les processus …
Cette liste n’apparaît pas spontanément et évolue, chemin faisant, au fur et à mesure de la maturation du projet, des rencontres, de l’ambition, etc. pour, normalement, gagner en pertinence (cf. chapitre 2). Elle peut être discutée, quand par exemple le créateur défend le besoin de louer un local en centre-ville alors que les financeurs pensent qu’en périphérie c’est aussi bien (ou l’inverse), lorsqu’il envisage de récupérer du matériel d’occasion pour la chaine de production alors que le matériel neuf bénéficie d’une garantie de maintenance rassurant l’actionnaire ou les salariés, lorsque sa campagne de communication prend des proportions inquiétant les évaluateurs du projet, … les exemples sont légions.
Capter des ressources, c’est également avoir négocié avec les possesseurs de ces ressources (préalablement identifiés) pour obtenir ces dernières et, ainsi, transformer ces acteurs rencontrés en parties prenantes (les Parties Prenantes sont une composante du BM étudiée dans le chapitre 10). Cette partie du processus touche aux capacités de l’entrepreneur et appelle un thème qui donnera lieu à une prochaine note : la négociation. Celle-ci n’est guère aisée pour les neo-entrepreneurs, notamment lorsqu’ils lancent une affaire dans un secteur d’activité au sein duquel ils n’ont pas d’expérience significative.
La valeur captée par les ressources obtenues doit alors être cohérente avec la proposition de valeur. Sur la base d’une métaphore culinaire, plus les ingrédients réunis sont de qualité et le savoir-faire des pâtissiers recrutés est grand, plus le gâteau sera bon. Des ingrédients de qualité exceptionnelle et des salariés issus de grandes maisons sont sans aucun doute « très bons» mais sans aucun doute
« trop chers » si le positionnement choisi par l’entreprise est de fournir des gâteaux bon marché (ce qui ne veut pas dire de mauvais gâteaux). Selon le positionnement choisi, le créateur tente de réunir les meilleures ressources possibles. S’il n’y parvient pas, peut-être devra-t-il revoir ses ambitions.
Le partenaire doit ressentir cette capacité de l’entrepreneur à capter les divers types de ressources nécessaires, et plus largement utiles, au projet. La captation, ici, concerne autant l’obtention de ressources possédées par des tiers, s’accordant à les apporter au projet, que le développement de ressources par l’organisation mise en place. Si les ressources auxquelles on pense généralement sont fournies par ceux qui les possèdent et que le créateur sollicite (du temps de travail et du savoir-faire possédés par les salariés, un local possédé par le bailleur, des fonds possédés par les financeurs, etc.), il ne faudra pas négliger la capacité de l’organisation à développer des ressources 6.3 et 6.5.
A vous de jouer :
1/ Réalisez un tableau à 3 colonnes : ressources nécessaires à votre projet d’entreprendre, acteur possédant la ressource, stratégie envisagée pour capter la ressource.
S’agissant de l’organisation des ressources, la valeur étant au cœur du BM, les connaisseurs des grands auteurs en stratégie penseront à Mickael Porter (1985) et au concept de chaîne de valeur. Ce concept modélise l’organisation d’une firme. Selon cet auteur, au sein d’un segment stratégique, toute entreprise doit avoir, à propos de ses produits ou de services, une réflexion sur la valeur perçue par les consommateurs pour ensuite identifier la contribution de chaque activité de l’entreprise à cette valeur. L’ensemble des activités engage un coût devant s’avérer inférieur au prix payé par les acheteurs pour qu’une marge soit dégagée. Porter distingue les activités primaires, lesquelles sont directement impliquées dans le processus productif de la firme, et les activités de soutien, celles-ci apportant, en quelque sorte, un support aux activités primaires pour qu’elles remplissent au mieux leur fonction. D’autres acteurs, ayant leur propre chaîne de valeur, se situent en amont de celle de l’entreprise, ou en aval. Par exemple, en aval, un distributeur possède sa propre chaîne de valeur et ajoute de la valeur aux produits de ses fournisseurs lorsqu’il les promeut.
Si le concept de chaîne de valeur présenté par Porter semble guère pouvoir être utilisé lors de la conception d’un projet de création d’entreprise, il peut être, dans ce contexte, inspirant. Ainsi, il permet de distinguer, très utilement pour certains projets, deux types génériques d’activités («primaires », comme par exemple la production, et «de soutien », par exemple celle apportée par les Ressources Humaines) et d’alerter, pour un positionnement choisi, sur la valeur que doit apporter chaque tâche, chaque activité et chaque processus à la création de valeur du produit ou du service au catalogue de l’entreprise. Si la contribution d’une tâche à la création de valeur est faible ou qu’elle coûte trop, se poseront les questions de son maintien et de sa sous-traitance (un partenaire peut avoir une meilleure maîtrise de l’activité et, sous réserve que celle-ci ne soit pas directement liée au contrôle d’un facteur clé de succès, elle pourra être sous-traitée).
Le concept de chaîne de valeur sensibilise également à la notion de coût avec bon sens, puisque la somme des coûts des activités rapportées à un produit ou à un service ne doit pas dépasser la somme ce que le client est prêt à payer. Ceci dit, dans les environnements turbulents, les modèles portériens (dont la chaîne de valeur) sont critiqués (Fréry, 2007), ce que Porter lui-même, pas « fan » du concept de BM (peut-être y voit-il une concurrence), reconnaît seulement en partie.
A vous de jouer :
1/ Avez-vous identifié les différentes tâches, activités et processus de votre
organisation ?
2/ Comment apprécier la valeur apportée par ces tâches activités et processus ?
3/ Avez-vous pensé à mettre en place un système analytique permettant d’évaluer le coût de ces tâches, activités et processus ?
Pour aller plus loin :
Fréry, F. (2007). « Michael E. Porter – structures industrielles, positionnement stratégique et avantage concurrentiel», dans Loilier, T. et Tellier, A. Les grands auteurs en stratégie, EMS Editions
Porter, M.E. (1985). Competitive advantage : creating and sustaining superior performance, The Free Press
Porter, M.E., Millar, V.E. (1985). « How information gives you competitive advantage », Harvard Business Review, 63(4), p.149-160
La structure de l’entreprise fait l’objet de réflexions depuis fort longtemps. Avec la phase d’industrialisation des sociétés, elle est devenue un objet particulièrement travaillé (on pensera inéluctablement aux travaux sur l’organisation scientifique du travail). Ceci dit, elle manque désormais, à notre sens, d’intérêt de la part de la communauté des chercheurs car elle aurait pu être un sujet davantage exploité, par exemple, dans l’étude de la croissance des start-ups internet. Il aurait été intéressant de repartir des réflexions de Chandler (1962) qui posa des problèmes cruciaux relatifs à l’organisation des entreprises. On ne réduira pas ses travaux aux relations entre la stratégie d’une entreprise et sa structure organisationnelle, mais pour ce qui nous intéresse ici, on rappellera qu’il s’agissait, entre autres, de comprendre si la stratégie formulée par l’entreprise détermine sa structure ou, à l’inverse, si la structure mise en place autorise (favorise ou contraint) la formation de certaines stratégies. Dans une certaine mesure, on revient à la relation entre la poule et l’œuf, ou à la formule que nous proposions dans la note 4.1. Ce problème apporte en fait beaucoup au stratège comprenant alors les relations fondamentales que l’une entretient avec l’autre.
« La stratégie consiste à la fois en un choix de positionnement externe et d’agencement organisationnel qui constitue une base de mise en œuvre et un tremplin d’adaptation future » (Desreumaux, 1993. p. 13).
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Les différentes catégories de travaux sur la structure de l’entreprise (d’après Desreumaux 1992)
Desreumaux (1992) relève au moins six types de travaux attachés aux problèmes touchant aux structures d’entreprise.
• La première catégorie de travaux analyse la structure de l’entreprise en termes de composants, en distinguant les éléments de superstructure et les éléments d’infrastructure. Les premiers sont les plus manifestes et concernent la division du travail, la différenciation des tâches et les organes de coordination globaux, dont l’organigramme est sans doute la représentation la plus répandue. Les seconds se rangent sous la dénomination de «systèmes de gestion » et regroupent les systèmes et les procédures permettant d’animer la structure globale: planification, contrôle, information, animation …
• La catégorie suivante s’intéresse aux attributs ou aux caractéristiques de la structure. Des indicateurs permettent par exemple de qualifier la structure de bureaucratique, de formalisée ou de standardisée. Dans cette veine, il s’agit de décrire les structures adoptées et d’en construire des typologies.
• La quatrième famille considère la structure comme une configuration formelle de rôles et de procédures (approche configurationnelle) ou comme un processus d’interactions complexes mais régulières (approche interactionniste).
• La cinquième famille de travaux possède une certaine proximité avec l’approche configurationnelle. Elle dresse des typologies des formes de départementalisation des structures. Parmi les types, on distingue classiquement la structure fonctionnelle (DG et, dessous, fonction production, fonction GRH, fonction comptabilité/finance, etc.), la structure divisionnelle (l’entreprise peut par exemple être divisé par zone géographique) et la structure matricielle (un mode projet traverse les fonctions ou les divisions de l’entreprise). Ainsi nommées ces structures constituent des types purs, l’observation faisant apparaître des formes hybrides. D’autres typologies, plus complètes, proposent des nuances au sein même de ces typologies, tandis que d’autres apportent des lectures plus complexes, donc moins simplificatrices. Ainsi en est-il de la typologie dressée par Henri Mintzberg (1982).
• Pour clore ce relevé, mentionnons les travaux identifiant les déterminants des structures. On y relève différents courants. Le courant dit « historien des affaires » explore essentiellement les relations entre la stratégie et la structure en effectuant des études longitudinales. Le courant de la contingence étudie les variables contextuelles (culture, technologie, …) influençant la structuration de de l’entreprise.
A cette liste, Desreumaux ajoute les problémes posés par la gestion des structures, notamment leur modification à des fins d’amélioration de la performance.
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On renverra à la note 4.1 pour, en contexte de création d’entreprise et à nouveau, se rappeler le dilemme entre, d’une part, les moyens à se donner pour les ambitions portées et, d’autre part, le fait de composer avec les moyens du bord. La structuration de l’entreprise naissante se réalise souvent chemin faisant pour, au fur et à mesure de sa complexification, prendre des formes ayant fait l’objet d’études afin d’identifier celles conduisant à la meilleure performance. Le créateur d’entreprise, dont l’ambition s’exprime dans la croissance prévue pour l’entreprise, anticipera cette structuration.
Ceci dit, la structuration de l’entreprise conduit rapidement à des questions afférentes à la superstructure évoquée dans l’encart précédent, c’est-à-dire la répartition des tâches et l’affectation des responsabilités. Il s’agit de décrire les fiches de poste (nécessaires pour recruter, le futur salarié veut savoir ce qu’il aura à faire) et de dessiner une première version d’un organigramme en anticipant sur l’éventuelle croissance que l’organisation absorbera. Certes, au démarrage, il n’est pas rare qu’une certaine polyvalence soit bien pratique. Un travail de nature collaborative, notamment dans les start-up technologiques ou numériques, s’exprime assez naturellement lorsque la direction l’encourage. Mais avec la croissance de l’entreprise, les postes deviennent plus spécialisés et l’anticipation des besoins en termes de ressources et d’organisation occupe beaucoup la direction générale. La Fabrication de la valeur consiste alors à anticiper les possibilités de croissance par une organisation contrôlable.
A vous de jouer :
1/ Dessinez une première version de l’organigramme tenant compte des tâches, activités et processus de votre organisation (cf. note 6.5).
Pour aller plus loin :
Desreumaux, A. (1992), Structures d’entreprise, Vuibert Gestion
Mintzberg, H. (1982), Structure et dynamique des organisations, Les Éditions d’Organisation
Verstraete, T. (2010), Préparer le lancement de son affaire – méthode à l’usage créateur d’entreprise et de son conseiller, de Boeck
Les valeurs et la culture touchent à l’anthropologie sociale et culturelle, une discipline qui étudie l’espèce humaine en situation sociale. S’agissant de la culture, Godelier (Eric, 2006), dans un ouvrage dédié à la culture d’entreprise, reprend la définition de Godelier (Maurice, 1998) : « l’ensemble des principes, des représentations et des valeurs partagés par les membres d’une même société et qui organisent leur façon de penser et d’agir sur leur environnement et sur eux-mêmes, pour organiser leurs rapports, c’est-à-dire la société». Au regard de notre définition du BM sur la plateforme GRP-Lab.com (« une représentation partagée relative à la Génération de la valeur, à la Rémunération de la valeur et au Partage de la valeur »), la culture peut servir de thème pour comprendre certaines dimensions du BM, ou plus largement pour voir le BM comme un artefact érigé, en quelque sorte, en mythe (ici valorisable par la communauté réunie) fédérateur d’un collectif. Ce dernier est composé de l’ensemble des parties prenantes effectives ou potentielles d’un projet d’entreprendre, en tenant compte des différents périmètres influençant celui-ci (proximité des parties prenantes, valeurs et cultures de ces acteurs, de leurs pratiques, de leur écosystème, etc.). L’entrepreneur joue alors un rôle essentiel (cf. Schein, 1989) mais compose avec un écosystème, des conventions et des acteurs plus ou moins distants, nombreux et influents participant à la culture de l’entreprise naissante.
L’anthropologie placerait sans trop de doute la dimension Partage, à laquelle notre définition accorde une place importante en lui attribuant qualitativement le tiers des préoccupations associées au design d’un BM, comme angle privilégié pour lire celui-ci. Ce qui voudrait dire qu’un BM, c’est avant tout du partage (de valeurs, de biens, de services, de culture, etc. et pourquoi pas d’émotions), la dimension Génération est une matérialisation des besoins/moyens et la dimension Rémunération la traduction économique de projets appelant des fonds, des subventions ou du chiffre d’affaires (nous verrons, dans le chapitre 13, que le G du BM GRP correspond au modèle productif, le R au modèle économique et le P au modèle partenarial).
Pour ce qui est des entreprises établies, le BM, utilisé dans une fonction de diagnostic, compose une lecture socio-historique de la construction de la culture de l’entreprise. Cette dernière s’offre à de nombreux regards et, pour les situations de gestion correspondant aux situations sociales évoquées au début de cette note, une des questions à poser est la suivante : « Comment le projet de coordination et de rationalisation de l’action collective porté par le management peut-il se combiner à l’influence de la culture sur les représentations et les comportements des membres de l’entreprise ? » (Godelier, 2006, p.4), sachant qu’il est possible d’élargir la cible de cette question à toutes les parties prenantes (voire, comme le montre Godelier dans le chapitre 4 de son ouvrage, aux parties concurrentes). Certes, parler de culture d’entreprise en gestion circonscrit plutôt le propos à un périmètre dit interne et réservé aux individus qualifiés de « membre de l’entreprise », alors que le projet d’entreprendre implique plus largement tout un ensemble de partenaires dans un espace moins aisé à tracer car non encore balisé, notamment lors d’une création d’entreprise, par un cadre juridique (voire théorique). Autrement dit, la culture de l’entreprise naissante compose avec une géographie d’influence large pénétrant le BM.
Ainsi vu, il est possible de procéder à une lecture anthropologique du BM, partant de son caractère artificiel (au sens d’artefact) pour l’ériger en mythe porté par un leader (l’entrepreneur) usant d’un exercice de conviction pour faire adhérer une communauté (les parties prenantes) au projet d’entreprendre et, ainsi, coordonner un ensemble d’activités et contrôler des comportements. La culture afférente, comme le projet, se construit chemin faisant. Nous proposerons très prochainement un texte exploitant cet angle de vue anthropologique du BM.
A vous de jouer :
1/ Partir de la définition de Maurice Godelier pour l’appliquer à votre projet d’entreprendre.
2/ Quels enseignements tirer de 1/
Pour aller plus loin :
Godelier, E. (2006). La culture d’entreprise, Editions La Découverte
Godelier, M. (1998). « Quelle culture pour quels primates : définition faible ou définition forte de la culture », dans Ducros, A., Ducros, J., Joulian, F. (dir)., La culture est-elle naturelle ?, Paris, Errance
Schein. E. H. (1989), Organizational culture and leadership, Jossey-Bass Publishers, San Francisco (second edition)
Contrôler, c’est ici maîtriser. Cette activité appelle la mise en place d’outils de pilotage. Ainsi, si l’on se réfère aux trois niveaux décrits par Bouquin (1991), inspiré par Anthony (1965), la maîtrise de l’organisation nécessite de concevoir des outils de pilotage pour le contrôle stratégique (utilisés par la direction pour formaliser le futur désiré et conduire l’organisation vers celui-ci), le contrôle d’exécution (pour que les opérationnels des tâches puissent correctement réaliser celles-ci, apprécier la bonne exécution voire effectuer les correctifs) et le contrôle de gestion (correspondant, en quelque sorte, à la gestion courante de l’entreprise). Les outils de ce dernier font le lien entre les deux premiers niveaux, en permettant de vérifier que les opérations concourent à la réalisation de la stratégie grâce au reporting effectué auprès de la direction et en donnant aux opérationnels un budget permettant la réalisation des tâches qui leur sont confiées. La représentation de ce modèle à trois niveaux de contrôle met en exergue un dispositif gigogne : « à la fois parce que la circulation de l’information exclut le cloisonnement, et parce que chaque système emprunte au système de rang inférieur» (Bouquin, 1991, p.34). On pourrait aller jusqu’à dire que, plus qu’un emprunt, pour une entreprise naissante, les systèmes se superposent et s’imbriquent intimement.
Dans beaucoup de petites entreprises, a fortiori dans l’entreprise naissante, le dirigeant porte la triple casquette du stratège, du contrôleur de gestion et de l’opérationnel. A ce titre, la plupart des petites entreprises reposent sur un contrôle informel, d’une part, permis par les relations directes que le dirigeant entretient avec les parties prenantes et, d’autre part, guidé par les valeurs et la culture mise en place (cf. note 6.7 ) ainsi que par un système d’encouragements-coercitions. Ceci dit, l’entrepreneur n’exonèrera pas l’organisation de la mise en place d’un contrôle plus formel afin de piloter l’entreprise sur la base d’indicateurs permettant, chemin faisant, d’apprécier la performance. Il s’agit alors de finaliser (fixer de façon formelle le but traduisant la stratégie, le décliner en objectifs compris et atteignables par les opérationnels,…), piloter (suivre la trajectoire et procéder aux actions correctives éventuelles) et postévaluer (mesurer les réalisations pour identifier et, le cas échéant, expliquer les écarts entre les objectifs et les réalisations). Cette vision du contrôle semble réservée à la grande entreprise, alors qu’elle s’exprime déjà lorsque l’artisan réalise un devis et apprécie ensuite s’il a réalisé la marge initialement calculée (il peut, par exemple, avoir rencontré une difficulté non anticipée ayant accru le temps passé, avoir subi une augmentation inopportune d’un matériel, …). Nous reviendrons sur ces aspects lors du chapitre 9 consacré à la composante Performances. La Fabrication de la valeur doit, à notre sens, intégrer les outils de pilotage et les systèmes de gestion 6.11.
Pour aller plus loin :
Bouquin, Le contrôle de gestion, PUF, 1991
Anthony RN, Planning and control systems : a framework for analysis, Boston, Harvard University Press, 1965
La communication (publicité, événement, promotion des ventes, bouche à oreille, …), est une composante du marketing mix, lequel comporte quatre politiques: produit, prix, distribution et communication. Les deux premières sont rangées, dans notre approche, dans la Proposition de la valeur. Les troisièmes et quatrième relèvent de la Fabrication de la valeur. Ainsi vue, le marketing mix soude une des articulations de ces deux composantes du BM (Proposition de valeur et Fabrication de la valeur).
La communication et un thème méritant de sérieux développements impossible à ranger totalement dans une note de cet ouvrage, qui plus est, à l’heure du marketing digital. Son influence est telle qu’il faut absolument que les porteurs de projet s’approchent de ses spécialistes pour ne pas commettre trois erreurs que nous rencontrons régulièrement dans les projets de création d’entreprise et que Florence Krémer résument de la façon suivante : « trois erreurs majeures reviennent de manière récurrente dans les projets de création que nous avons observés : 1) La politique de communication n’est budgétée qu’approximativement, sans devis ; 2) L’efficacité des actions envisagées n’est pas prise en compte ; 3) Les supports de communication sont réalisés de manière amateur, sans recourir à des professionnels de la communication » (Krémer, 2010, p.190).
Certes, il est possible de procéder à quelques rappels génériques, par exemple, que la communication sur la Proposition de valeur (y compris sur la marque que celle-ci véhicule) a trois visées principales :
• la faire connaître (c’est par exemple la fonction donnée à un site web grâce auquel les caractéristiques de l’offre sont présentées) ;
• la faire aimer (en provoquant l’émotion par des publicités ; en mobilisant des porte-parole ou des influenceurs sur les réseaux sociaux afin d’accroître la désirabilité) ;
• et faire agir vos clients c’est-à-dire les inciter à entrer en interaction avec l’organisation (par exemple par des opérations promotionnelles incitant à l’achat; par des contacts afin d’inciter à l’interaction).
Le lecteur retiendra, avant d’aller vers les spécialistes du thème, que la communication apporte à la perception de la valeur par le client ou l’usager. Ainsi, une bonne communication ajoute à la valeur, une mauvaise communication en soustrait.
A vous de jouer :
1/ Qu’est-ce qu’un plan de communication ? (Appliquer la réponse formulée à votre projet).
2/ Quelle est la singularité de la communication pour une entreprise pure player créée récemment ?
3/ Quelles sont les compétences attendues d’un community manager ?
Pour aller plus loin :
Adary, A. et al. (2018), Communicator, 8e éd. – Toute la communication à l’ère digitale !, Dunod, 656pp.
Krémer F. (2010), La confrontation entre l’idée et le marché, Préparer le lancement de son affaire, Verstraete T. dir, De Boeck, p.79-97
Un canal de distribution est «un chemin que doit parcourir un produit au sens large entre son lieu de fabrication et son lieu de consommation ou d’utilisation. L’ensemble de ces chemins pour un même produit constitue le circuit de distribution » (Cliquet, 1999a, P.293).
C’est par l’intermédiaire des canaux de distribution que la Proposition de valeur est délivrée aux cibles visées. Le circuit de distribution sera qualifié dans un premier temps en fonction du nombre d’intermédiaires entre l’offre et le consommateur. Ainsi, il sera direct lorsqu’il n’y a pas d’intermédiaire (ex : représentants commerciaux, VPC, …), court quand il y en a un (ex : vente aux détaillants, franchises, …) et long dans les cas où il y en a plusieurs (grossistes, centrales d’achat puis détaillants par exemple). Ces trois cas sont parfois combinés.
Il est essentiel de déterminer le type de circuit à mettre en place et de procéder à des arbitrages. Par exemple, lors du démarrage d’une activité, il est parfois plus judicieux de vouloir toucher un grand nombre de consommateurs parce que les points de vente le permettent (plutôt que vouloir restreindre la vente à un canal direct par internet). Le circuit a également une incidence sur le prix finalement payé par le client (cf. le nombre d’intermédiaires et la marge qu’ils prennent pour se rémunérer).
Le tableau ci-dessous liste un ensemble de canaux de distribution éventuellement combinés lors d’une stratégie multi-canal.
Les choix en matière de circuit de distribution sont susceptibles d’influencer grandement le BM (toutes les composantes). Ils conduisent souvent à poser différents scenarii et de nouvelles questions : est-ce l’offre qui va jusqu’au consommateur ou l’inverse ? Qu’est-ce que cela implique ? La logistique (transport, stockage, localisation des entrepôts, emballage, manutention, récupération des produits défectueux, etc. cf. Cliquet, 1999b) est-elle un élément clef du processus de Fabrication de la valeur ? Allez-vous réaliser la distribution vous-même ou l’externaliser ?
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Intégrer ou non le réseau de distribution (Krémer, 2010)
« La distribution a plusieurs fonctions : elle permet l’accès du produit ou du service aux consommateurs, mais elle inclut aussi le transport du produit, son stockage et la mise en valeur du produit. Pour chacune de ces fonctions, le créateur se trouve face à un dilemme : faire lui-même ou faire faire par des intermédiaires. Ce choix dépendra de plusieurs paramètres : quelle est la marge pratiquée par chaque circuit de distribution ? Quel est le pouvoir de négociation du créateur face aux distributeurs ? Quelle est
l’image de chaque circuit? Quels sont les délais de paiement pratiqués par les distributeurs ?
Dans le cas où le créateur choisit des intermédiaires, il bénéficie des compétences des distributeurs en matière de logistique, de connaissance de la clientèle et il peut optimiser à moindre coût son implantation. Cette option implique cependant un suivi étroit des distributeurs et l’assurance que ces derniers sont motivés à vendre le produit.
Dans le cas où le créateur choisit de distribuer lui-même ses produits, il garde le contrôle de son image et de sa marge mais devra tenir compte des contraintes de l’ouverture d’un point de vente (choix d’une localisation avec étude de la zone de chalandise, coûts d’aménagement du local, génération de trafic vers le point de vente). »
Krémer, 2010, p189-190)
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A vous de jouer :
1/ Quels sont les canaux par lesquels vous pourriez distribuer votre offre ? Que change, pour votre projet, le fait de choisir l’un ou l’autre d’entre eux ou d’en combiner certains ?
2/ Appréciez les avantages et les risque de sous-traiter la distribution et application à votre projet.
Pour aller plus loin :
Cliquet, G. (1999a). «Distribution», dans Le Duff, R. Encyclopédie du management et de la distribution, Dalloz, p.291-293
Cliquet, G. (1999b). « Canal de distribution », dans Le Duff, R. Encyclopédie du management et de la distribution, Dalloz, p.293-295
Krémer F. (2010), La confrontation entre l’idée et le marché, Préparer le lancement de son affaire, Verstraete T. dir, De Boeck, p.79-97
Tabatoni et Jarniou (1975), dans un ouvrage portant précisément sur les systèmes de gestion, assimilent le gestionnaire à un décideur appelé à choisir une solution pour résoudre les problèmes de coordination posés aux organisations (firme, hôpital, université, association à but non lucratif, parti politique, musée, administration publique, …). Ainsi, pour qu’une organisation réalise ses objectifs, le gestionnaire décide, fait réaliser l’action et évalue les réalisations au sein de l’organe dont il a la responsabilité et selon le périmètre qui lui a été confié (en fonction de son niveau dans la hiérarchie). A ce titre, il finalise en fixant les objectifs de ses subordonnés, il organise leur travail en définissant les périmètres organiques (structuration) auxquels il alloue des moyens pour qu’ils atteignent leurs objectifs, il anime en incitant les sous-organes et leurs agents à réaliser leurs objectifs sans omettre de faire converger les efforts des membres de l’organisation (par tout un ensemble d’actions de contrôle social et de motivation). On retiendra que tout gestionnaire, c’est-à-dire en quelque sorte ici tout décideur, finalise, organise et anime « les actions collectives de personnes ou de groupes de personnes réalisant les activités qui leur sont assignés dans une organisation » (Tabatoni et Jarniou, 1975, p.3).
Alors qu’on pourrait croire ce quadragénaire propos dépassé et réservé à de grandes organisations aux multiples niveaux hiérarchiques, on défendra à la fois son intemporalité et sa pertinence dans le contexte de la création d’une entreprise (évidemment plus largement en contexte entrepreneurial). En effet, il nous inspire pour affirmer que l’entrepreneur :
• finalise en indiquant là où il veut conduire l’organisation impulsée (cf. note 4.1). L’entrepreneur s’efforce de formuler des souhaits ou des conceptions de l’avenir pour les affaires imaginées. Certaines parties prenantes, au premier rang desquelles celles participant au financement de l’entreprise, exigeront la présentation de cette vision et la discuteront car la dotation de moyens est motivée par une estimation de la réalisation de la stratégie, il convient donc d’avoir formulé celle-ci. La réalisation de la stratégie formulée appelle sa formation, c’est-à-dire sa mise en œuvre par les tâches, activités et processus 6.2 d’actions collectives. Ce dernier point touche particulièrement la gestion qui se réfère toujours, selon ses spécialistes, à une action collective finalisée ;
• organise en structurant l’organisation naissante pour y décliner la stratégie (traduire le but générique poursuivi en objectifs assignés aux exécutants), en tenant compte des évolutions possibles de l’organisation (ex : croissance) sans pour autant perdre en agilité, en contrôlant la bonne utilisation des moyens (ressources tangibles et intangibles) distribués aux subordonnés pour qu’ils atteignent leurs objectifs 6.8. Organiser, c’est, d’une part, mettre un minimum d’ordre afin que la coordination permette à chacun de réaliser ses tâches et de contribuer à l’objectif collectif et, d’autre part, penser autant à la dynamique organisationnelle (action d’organiser, c’est-à-dire comment il faut agir pour générer la valeur) qu’au résultat de celle-ci (c’est-à-dire la forme institutionnalisée par le droit, lorsqu’on dépose les statuts de l’entreprise par exemple, afin notamment de répondre aux problèmes de responsabilité et de propriété) ;
• anime en se préparant au style de management à mettre en place, en favorisant le mode de communication idoine, en provoquant les échanges permettant le partage pour la construction d’une culture d’entreprise, en développant les compétences des salariés
(ex : formation), en mettant en place un système de récompenses, etc. L’entrepreneur reste la première source de motivation des salariés dans la petite structure qu’est l’entreprise naissante. Ces salariés ne sont pas les seules parties prenantes à motiver et l’animation du réseau de partenaires conduira à définir les politiques de gestion des ressources humaines, de marketing, de gestion financière, etc. 6.13;
Ainsi vue, la mise en place des systèmes de gestion peut faire l’objet d’une lecture systémique 1.4 3.10 distinguant trois sous-systèmes de finalisation, d’organisation et d’animation chacun composé de processus propres mais coordonné avec les processus des deux autres (Tabatoni et Jarniou, 1975). Le raisonnement inhérent à la mise en place de tels systèmes ne saurait couvrir de façon rationnelle l’ensemble des décisions de gestion pouvant être prises. En effet, l’imprévu, les moyens réunis, ce que l’action révèle, la lattitude managériale attribuée aux salariés, les observations des mouvements du marché faites par ces derniers (insatisfaction des clients, agressivité des concurrents, information d’un contact, …), etc. génèrent des situations appelant l’intelligence et la connaissance des décideurs non préparés à toutes les situations rencontrées, notamment lorsqu’ils sont neo-entrepreneurs et/ou jeunes donc moins expérimentés. Ceci étant, l’effort de rationalisation aide à concevoir quelques outils de pilotage 6.8 et à penser le mode d’animation de l’équipe réunie.
A vous de jouer :
1/ Quel est le but de l’organisation que vous créez ? Y attachez-vous des missions ?
2/ Comment allez-vous structurer l’organisation ?
3/ A quels dispositifs avez-vous pensé pour animer et motiver vos salariés, voire plus largement vos parties prenantes ?
Pour aller plus loin :
Tabatoni, P. ; Jarniou, P. (1975). Les systèmes de gestion – politiques et structures, Presses Universitaires de France
L’animation d’un réseau de parties prenantes passe à notre sens par la mise place des politiques pensées pour optimiser les relations d’échanges avec elles, notamment lorsque l’organisation gagne en taille et se départementalise (Verstraete, 2003). Ces politiques consistent à satisfaire durablement le partenaire possédant les ressources sollicitées par l’organisation, dans le cas contraire il risque de rompre ces relations. Ainsi, l’organisation se développant, il est par exemple possible de la structurer en différents départements (marketing, ressources humaines, finance, etc.) chacun déployant la politique d’échange avec la catégorie de parties prenantes avec laquelle il interagit prioritairement. Par exemple, le département ressources humaines conçoit avec le dirigeant, et met en œuvre, la politique salariale optimisant les échanges de valeur entre les salariés et l’organisation. Le département marketing est quant à lui concerné par la politique marketing visant l’optimisation des échanges avec les clients, le service achat par la politique d’achat à mettre en place auprès des fournisseurs, etc. C’est dans ces politiques que réside le positionnement de l’organisation: « L’entrepreneur et l’organisation impulsée par lui se positionnent non pas dans un environnement, mais au moins autant d’environnements qu’il n’y a de catégories de parties prenantes.» (Verstraete, 2003, p.77).
Lorsque l’organisation gagne en taille, l’entrepreneur délègue la politique fonctionnelle, devenue nécessaire, à un salarié recruté pour ses compétences dans le domaine concerné. L’expression politique fonctionnelle « recouvre alors un ensemble de décisions structurant l’organisation et conduisant à l’apparition des services concernés » (Verstraete et Saporta, 2006, p.283).
Nous reviendrons sur ce point dans une autre note en convoquant la théorie des parties prenantes (chapitre 10).
Pour aller plus loin :
Verstraete, T. (2003), Proposition d’un cadre théorique pour la recherche en entrepreneuriat, Les Editions de l’Adreg
Verstraete, T. ; Saporta, B. (2006). Création d’entreprise et entrepreneuriat, Les Editions de l’Adreg
La pérennisation des relations avec les parties prenantes appelle la mise en place de politiques fonctionnelles prises en charge, dans les organisations croissant, par les responsables des services correspondants (directeur des ressources humaines, directeur de la production, directeur achat, directeur marketing, directeur financier, …) 6.13. Il est peut-être utile, pour anticiper la structuration de l’entreprise, de connaître les modèles génériques généralement admis comme base des réflexions dans ce domaine, sachant que la réalité révèle souvent des cas hybrides, c’est-à-dire combinant les formes ci-dessous présentées. Nous renvoyons à nouveau à l’ouvrage de Desreumaux (1992), qui constitue un état de l’art assez remarquable sur les structures d’entreprise et auquel nous empruntons le propos ci-dessous. Pour cette note, nous retenons de la section portant sur les formes de départementalisation trois structures types : la structure fonctionnelle, la structure divisionnelle et la structure matricielle.
La structure fonctionnelle se base sur la nature des tâches regroupées en grandes fonctions prises en charge par les départements correspondants. Au niveau supérieur de la hiérarchie, la représentation graphique de la structure fonctionnelle peut ressembler au schéma suivant, en-dessous duquel le responsable affectera les tâches ou des responsabilités.
Desreumaux prend comme exemple deux fonctions : « la fonction Ventes peut être subdivisée par zones géographiques, par produits ou par types de clients; la fonction Fabrication peut être organisée par phase du processus de production, par lignes de produits, etc. » (p.57). Il évoque l’intéressant travail de thèse de Kalika (1984) montrant l’usage courant de cette forme de départementalisation au sein des PME.
Au titre des avantages de cette forme structurelle, l’auteur relève sa clarté, sa simplicité, la spécialisation des tâches et les économies d’échelle. A l’inverse, il note quelques revers : rigidité inhérente à une forte centralisation pouvant conduire le sommet de la hiérarchie à être submergé en phase de croissance, esprit de paroisse favorisée par des frontières entre les fonctions.
La structure divisionnelle est plus décentralisée dans la mesure où les responsables de division disposent d’une certaine autonomie de fonctionnement : «chaque division dispose de ses ressources et sera gérée comme s’il s’agissait d’une entreprise à peu près indépendante, avec responsabilité correspondante de ses résultats» (p.58). En reprenant la représentation graphique proposée par l’auteur, on remarque que le schéma s’appuie sur un découpage des divisions par produits, mais, comme il le signale, il est possible que les divisions soient dessinées autour de zones géographiques, de types de clients ou de marchés. On note également que sous les divisions, une forme fonctionnelle se déploie.
« Contrairement au cas de la structure fonctionnelle, où seule la fonction commerciale est en relation immédiate avec la clientèle, la logique d’écoute et d’adaptation aux attentes du marché pénètre l’ensemble de la structure divisionnelle. Ce qui lui confère une souplesse et une capacité d’adaptation supérieures» (ibid).
Une structure divisionnelle accroitrait le sens des responsabilités et l’autodiscipline des membres de l’organisation, recentrerait la direction générale de l’entreprise sur les activités stratégiques (choix des domaines d’activités stratégique et allocation des ressources) mais appellerait la mise en place d’un contrôle de gestion inhérent à la décentralisation. Elle présenterait le désavantage de moindres économies d’échelle, elle serait donc plus coûteuse, dans la mesure où « les divisions cherchent en effet le plus souvent à disposer en propre du maximum de ressources, ce qui conduit à de multiples duplications » (p.59).
La structure matricielle consiste à intégrer un mode projet dans l’une des formes structurelles précédemment présentées. Elle se base sur une double exigence : «constituer des équipes de travail sur des projets temporaires tout en gérant rationnellement un ensemble de ressources coûteuses… le principe de la structure matricielle consiste à désigner des chefs de projet auxquels il est attribué des moyens, notamment en personnels détachés de leur département ou de leur fonction d’origine » (p.60). La structure matricielle a fait l’objet de controverses et semble réservée aux multinationales.
Enfin, Desreumaux précise que ces trois types simplifient bien évidemment ce que l’observation concrète des structures d’entreprise révèle, à savoir des formes hybrides, par exemple lorsqu’une structure fonctionnelle utilise « une spécialisation par produits au sein des fonctions Ventes et Production ». Il est alors légitime de s’interroger sur l’évocation de ces types purs dans le contexte d’une création d’entreprise.
A vous de jouer :
1/ Confronter les 3 modèles théoriques de structure (fonctionnelle, divisionnelle, matricielle) à des cas concrets et les discuter.
2/ Dessiner une première version de l’organigramme de l’organisation envisagée en reliant les responsabilités aux tâches, activités et processus dynamisant la Fabrication de la valeur
Pour aller plus loin :
Desreumaux, A. (1992), Structures d’entreprise, Vuibert
Kalika, M. (1984), Contribution à la connaissance de la structure organisationnelle : essai d’analyse systémique, Thèse pour le Doctorat en Sciences de Gestion, Bordeaux
Si le raisonnement inhérent à la structure d’entreprise est relié à la réflexion stratégique (lien stratégie structure 4.1, il intéressera particulièrement les projets ambitieux pour lesquels la croissance est à la fois un souhait et un constat. Ce dernier impose une certaine agilité afin de composer avec l’acception dynamique de la structuration, sans toutefois faire perdre de vue l’utilité d’une anticipation afin que les tâches, activités et processus puissent se déployer dans une organisation coordonnant leur expression et leur bon déroulement. Qui plus est, cela permet aux membres de connaître leur contribution au but commun d’efficience. Si la fiche de poste établie pour un recrutement permet essentiellement de connaître les tâches confiées au nouveau salarié, une structure réfléchie indique, avec bon sens, son rôle dans le scénario globalement imaginé par les dirigeants. L’organigramme livre une certaine représentation de la structure, mais il reste en quelque sorte une radiographie ne livrant que la structure osseuse. Les systèmes de Gestion 6.11, la culture d’entreprise 6.7, etc. animent l’ensemble. Si l’image semble exagérée, et sans conférer à l’entrepreneur des capacités divines, il reste en effet celui qui impulse l’organisation et joue un rôle majeur dans sa structuration, laquelle est infiltrée par la culture de son leader (Schein, 1983, 1989). On y ajoutera celle des parties prenantes contribuant à l’émergence de la représentation partagée qu’est le BM. Les croyances se dégageant de cette culture orientent le comportement des acteurs et constituent une forme de contrôle, principalement s’agissant des employés (par un processus de socialisation).
La structuration est reconnue comme très importante pour les organisations innovantes. Si certaines dimensions du fonctionnement de l’entreprise nécessitent une standardisation (notamment dans la production manufacturière, mais ce point concerne plus largement toutes les tâches normées par un cadre formel d’exécution, par exemple dans le cadre d’une procédure qualité ou d’obtention d’un label), les espaces d’échange et de créativité restent un peu en marge. Ils appellent pourtant un contexte organisationnel favorisant leur expression (Amabile, 1988, 1998). La structuration des organisations innovantes en tiendra compte et laissera la créativité inhérente à l’entrepreneuriat (cf. Brazeal et Herbert, 1999) nourrir les projets. Cette position entraîne parfois une consommation de ressources autorisant la croissance rapide, comme le web-entrepreneuriat a pu le montrer (Yofie, Cusumano, 1999). Il reste néanmoins prudent d’apprécier la pertinence d’une croissance rapide à tout prix, qui peut s’avérer payante comme il en a été pour Amazon, mais source de nombreuses défaillances d’entreprises trop attachées par exemple à un business plan autiste à sa confrontation à un marché démontrant pourtant ses failles et invitant à pivoter, ou à un programme d’investissements prévus pour une croissance rapide et mis en œuvre parce que, en soit, il est beau. Comme dirait Jean-Claude : il faut être « aware » … y compris lorsque des fondateurs s’interrogent, lors de la croissance rapide de l’entreprise (dont la dynamique organisationnelle, c’est-à-dire ici la structuration, est la manifestation), sur leurs compétences à diriger celle-ci. Créer une entreprise est une chose, la diriger en est une autre. Il faut parfois faire preuve de lucidité pour mettre en place une direction générale apte à gérer le développement sans se faire écarter de l’organisation impulsée.
A vous de jouer :
1/ En revenant sur l’introspection à laquelle invite le chapitre 3 de cet ouvrage, quels sont vos atouts et vos faiblesses face au développement rapide et important de l’organisation impulsée par vous ?
2/ Comment optimiser les atouts et minimiser (ou écarter) les faiblesses ?
Pour aller plus loin :
Amabile, T.M., (1988). « A model of crea vity and innova on », dans Staw, B.M., Cumming, L.L. (dir). Research in organiza onal behavior, Greenwich, JAI Presse
Amabile, T.M. (1998). « How to kill crea vity », Harvard Business Review, 76(5), septembre octobre
Brazeal, D.V., Herbert, T.T., (1999). « The genesis
of entrepreneurship», Entrepreneurship Theory and Practice, 23(3), p29-45
Yofie, DB.B., Cusumano, M.A. (1999). « Building a company on Internet Time : lessons from Netscape », California Management Review, 41(3), p8-28
Schein, E.H. (1983). «The role of founder in creating organizational culture », Organizational Dynamics, Summer
Schein, E.H. (1989). Organizational culture and leadership, second edition, Jossey-Bass Publishers, San Francisco
Etonnament, la négociation n’est pas un objet de recherche prisé dans le domaine de l’entrepreneuriat, quelle que soit la manifestation de ce phénomène (création, reprise, …), alors que l’échange de valeur repose a priori sur un accord. Celui-ci est plus ou moins équilibré, c’est-à-dire qu’une des parties peut tirer davantage de bénéfices de la relation que les autres, mais toute négociation suppose l’acceptabilité de cet accord par les protagonistes. Notre conception de l’entrepreneuriat, tout comme celle du BM qui est selon nous l’artefact du phénomène, est écologique 2.7. La relation symbiotique recherchée est alors consubstantielle d’une relation gagnant-gagnant (alors qu’une relation gagnant-perdant émerge parfois de la comparaison des gains nets ou des concessions, cf. Dupont, 1994).
Nous reviendrons sur la négociation lors des chapitres relatifs à la dimension Partage de la valeur. Il s’agit pour l’instant d’alerter sur les nécessaires négociations déployées pour obtenir les ressources entrant dans le processus de Fabrication de la valeur.
Pour aller plus loin :
Dupont, C. (1994). La négociation– conduite, théorie, applications, Dalloz
Les ressources sont rares, notamment les meilleures. Rapportées au positionnement recherché, elles sont d’autant plus rares qu’elles sont convoitées par de nombreux acteurs se trouvant ainsi en concurrence. Pourtant, ces acteurs ne sont pas forcément sur les mêmes secteurs d’activité.
Imaginons qu’une start-up soit en train de faire passer des entretiens pour le recrutement d’un ingénieur. L’un des 7 candidats convoqués plait beaucoup au fondateur. Outre un CV comportant les éléments témoignant des qualités et des compétences attendues, l’entretien a montré de l’empathie réciproque et une évidente prochaine bonne entente. Le candidat est classé numéro 1 sur une liste de trois candidats retenus. Les deux autres présentent un beau profil et conviendraient. Mais le fondateur mise beaucoup sur le candidat classé premier. Ceci dit, lors de l’entretien d’embauche, à la question de savoir s’il convoitait d’autres postes, ce candidat a confessé avoir eu un entretien dans une grande entreprise, pour un poste proche et mieux rémunéré. Le fondateur a alors argumenté, entre autres sur l’intérêt du challenge particulièrement intéressant de son entreprise. La grande entreprise évoquée n’est absolument pas sur le même secteur d’activité. Elle est pourtant en concurrence avec la start-up pour l’obtention de la ressource qu’est ce candidat prisé.
Une autre illustration avec ce cas où la créatrice a appris qu’un local se libérerait enfin dans le secteur de chalandise souhaité. C’est rare, et à ne pas manquer. Elle veut ouvrir un coffee shop. Ceci dit, le propriétaire est sollicité par d’autres personnes pour ouvrir, pour l’un, un commerce de vente de jeux vidéos, pour l’autre, une surface de ventes de chaussures, etc. Ces locataires potentiels ne sont pas concurrents d’un même secteur d’activité. Ils le sont dans l’obtention de la ressource que représente ici le local.
Ces deux exemples montrent qu’une forme de concurrence s’exprime dès l’amont du cycle achat-fabrication-vente, dès la captation des ressources. Evidemment, plus classiquement, l’analyse concurrentielle est à conduire en aval. Il s’agit alors de comparer les offres de chacun des acteurs proposant des produits concurrents Chapitre 5.
A vous de jouer :
1/ Identifiez des ressources convoitées par des acteurs pourtant sur d’autres marchés.
2/ Quels sont vos arguments ou votre stratégie pour, le cas échéant, les obtenir ?
La note 4.1 explique que la volonté stratégique incite l’entrepreneur à se donner les moyens de ses ambitions. Autrement dit, en précisant son projet, chemin faisant, il finalise la liste des ressources entrant dans le processus de Fabrication de la valeur. Il ne parviendra pas forcément à réunir les ressources attendues. Ainsi par exemple, le local convoité a été loué à un autre, le salarié potentiel rencontré a finalement accepté une proposition concurrente, l’opération de crownfounding est moins réussie que ce qui était espéré, etc. Si certains projets seront alors remis en cause, la plupart pourront être lancés et l’entrepreneur gardera sa part d’agentivité.
Autrement dit, sauf à ce que le projet n’ait reçu aucun soutien, l’entrepreneur utilisera les ressources effectivement réunies pour éventuellement redesigner son BM de façon plus ou moins importante (parfois en pivotant). Lorsque le changement est conséquent, il est de bon aloi d’en aviser les partenaires apportant les ressources pour, à nouveau, déployer un exercice de conviction afin de garder leur engagement. Si le BM est une représentation partagée, son passage d’artefact imaginé à une ontologie exprimée suppose toujours une interaction et des échanges avec les partenaires potentiels autant pour la faire émerger que pour l’amender. A défaut, la cristallisation des partenaires autour du projet (Verstraete, Saporta, 2006), par les ressources apportées et les échanges initiés, se liquéfiera, voire s’évaporera. Lorsqu’il convient de revenir sur cette représentation partagée, l’entrepreneur vérifiera, puis garantira, que la valeur promise pourra effectivement être fabriquée, quand bien même l’ambition du projet est révisée.
Si c’est presque un lieu commun de devoir composer avec les moyens du bord, dans cette longue note, il s’agit de comprendre que l’entrepreneur improvise et bricole. Dans un premier temps nous livrons quelques éléments sur le concept d’improvisation, tirés d’une précédente contribution (cf. premier encart). Ensuite, nous présentons le concept de bricolage, utilisé par des chercheurs en entrepreneuriat inspirés (ceux qui l’ont lu …) par un texte de l’ethnologue/anthropologue Claude Lévi-Strauss (cf. deuxième encart de cette note).
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L’art de l’improvisation (Benavent, Verstraete, 2000)
« Brown et Eisenhardt (1997) mettent en évidence quelques traits fondamentaux associés à la réussite des entreprises faisant face à des environnements turbulents.
• Le premier trait est une remise en cause de la perspective contingente classique, telle que celle introduite par Burns et Stalker associant aux entreprises organiques des capacités de créativité et d’adaptation (par opposition au modèle de la bureaucratie mécaniste).
Il semblerait que l’organisation la mieux adaptée est un mélange de structures claires, construites autour de priorités et de responsabilités bien définies, et d’un style de management qui donne une large place à la communication et à la liberté de conception. Ce type d’organisation mixte favoriserait l’improvisation indispensable pour faire face à des circonstances changeantes.
• Le deuxième trait est proche du premier. Pour faire face aux évolutions, les entreprises qui réussissent le mieux adoptent des méthodes relativement structurées, mais éloignées des méthodes de planification stratégique, tout en maintenant une grande liberté. La conception de maquettes expérimentales, les alliances, les réunions, l’intervention de futurologues, préparent les entreprises à l’émergence des marchés nouveaux.
• Le troisième trait est relatif à une maîtrise particulière des rythmes temporels, par une gestion attentive des transitions. Le passage d’un développement de produit à l’autre est orchestré, «chorégraphié» pour reprendre un de leur mot. Elles opposent ainsi la cadence imposée par les événements à la capacité de donner des rythmes temporels semi-structurés. D’une part, le rythme de changement serait imposé de manière intrinsèque par les événements produits par les projets ; d’autre part, le tempo pourrait être donné par l’entrepreneur, qui, par ce moyen, coordonne les efforts de tous (cette idée est plus particulièrement développée dans Eisenhardt et Brown, 1998).
Serait-ce donc dans la capacité à gérer de manière proactive les transitions d’un projet à l’autre, et dans la gestion du rythme donné à ces projets (les accordant aux rythmes des marchés) que se trouverait la capacité à faire face aux turbulences et aux évolutions rapides de la net-economie ?
La réponse fournie par ces auteurs est très certainement incomplète. En mettant l’accent sur le temps et le tempo donné aux opérations, elles occultent en grande partie un éléments beaucoup plus fondamental retenu par Moorman et Miner (1998) : la capacité d’improvisation est d’autant plus grande que le répertoire de connaissance est vaste et accessible, permettant ainsi l’enrichissement de la dimension cognitive et, conséquemment, de bien se comporter.
Pour poursuivre l’analogie, donner le tempo est un moyen de permettre à l’improvisation de se mettre en place, mais ne garantit pas la réussite. D’autres facteurs risquent de jouer un rôle crucial dans la capacité d’adaptation à des changements importants et imprévus de l’environnement.
En reprenant une longue tradition de recherche relative à l’apprentissage organisationnel, Moorman et Miner opposent ainsi une connaissance de nature procédurale à une connaissance de nature déclarative. La connaissance procédurale est relative au «comment ça marche»; elle est composée de schéma, de scripts, de règles logiques ; elle est accessible rapidement et s’associe instantanément à l’action.
C’est la connaissance de l’expert, du musicien, du peintre, du joueur de foot. Elle est aussi le plus souvent faiblement ou spécifiquement codée ; elle se traduit simplement par le fait qu’un agent sait qu’il doit agir dans un certain contexte d’une certaine manière pour obtenir un certain résultat. Il ne peut expliquer pourquoi, et nulle part ailleurs cette relation n’est explicitée ou formalisée. La connaissance appartient à l’acteur seul. Elle ne se reproduit que par mimétisme ou du moins de proche en proche. Elle est dépendante de ceux qui la détiennent.
La connaissance déclarative est constituée d’une liste d’événements, de faits ou de propositions. Sa codification la rend plus explicite et conséquemment représentable et diffusable indépendamment de celui qui la détient directement. Si cette formalisation ralentit son accès, notamment par le besoin de recourir à des traitements systématiques pour traduire la connaissance en action, son accumulation favorise l’accès à de nouveaux registres cognitifs.
Selon Moorman et Miner, chacune de ces formes de connaissances organisationnelles a un effet différent sur la qualité de l’improvisation organisationnelle. La connaissance procédurale favoriserait la cohérence de l’action et sa rapidité au détriment de sa nouveauté. Par contre, la connaissance déclarative favoriserait la cohérence de l’action, sa nouveauté, mais en ralentirait le rythme.
Ces travaux éclairent le problème de l’adaptation du business model aux évolutions rapides et imprévisibles du marché et conduisent à quelques recommandations fondamentales.
La première est relative à la mise en place et à la gestion d’un système d’apprentissage organisationnel systématique. Pour prolonger l’analogie de la musique improvisée, il s’agirait de stimuler l’apprentissage en obligeant l’entreprise à faire des gammes. C’est ainsi que le rôle de la recherche ne serait pas seulement celui d’accompagner l’évolution des produits et services, mais d’entraîner les membres de l’entreprise, et en premier lieu l’entrepreneur, à faire face aux évolutions imprévues. On imagine aisément ce que cela peut signifier d’un point de vue opérationnel : participations intenses aux congrès et conférences, plans de formations, développement de maquettes expérimentales, partenariats multiples et divers…
La seconde recommandation est destinée à compenser les risques de la première : un effort intense de création pourrait rapidement mener aux chaos, et faire perdre à l’équation économique sa cohérence. La prolifération des produits, des services et la dispersion des efforts risquent de ruiner l’entreprise. C’est pourquoi l’entrepreneur doit donner le rythme, fixer a priori les étapes du changement et gérer les transitions de l’une à l’autre. Dans le cas de Netscape, il semble que cela ait été particulièrement réussi. En l’espace de quatre ans, trois orientations stratégiques et trois modèles économiques différents ont été engagés (les browsers, les serveurs, le netcenter). En planifiant partiellement le rythme des innovations, l’entrepreneur peut ainsi maintenir les conditions de sa prééminence. La question se posera de savoir si cela peut se maintenir longtemps, mais elle déborde le cadre de cet exposé. »
Benavent et Verstraete, 2000, p.99 à 101
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e premier encart de cette note met l’accent sur l’improvisation. Sous ce prisme, il dit aussi que cette capacité d’improvisation répond aux exigences des marchés mais qu’il est possible de rythmer le changement dans l’organisation impulsée pour chorégraphier et mettre en scène les contextes avec lesquels elle s’imbrique (il serait possible de lier ce propos au concept d’enactment de Weick, 1979). L’entrepreneur favorise alors l’apprentissage de l’organisation de sorte à ce que ses membres sachent puiser dans les registres cognitifs de celle-ci et, parfois, bricoler avec les ressources disponibles pour agir, provoquer, répondre … et entreprendre, c’est-à-dire aussi, et parce que l’entreprise naissante n’a pas suffisamment cumulé d’expérience, savoir composer avec les ressources réunies pour parfois inventer de nouveaux usages et formuler des stratégies. Cette conception remet en cause, sans s’y opposer (cf. Baker et al., 2003), le schéma linéaire où le processus de création d’une entreprise enchaine une phase de conception et une phase de mise en œuvre. Improviser, c’est, dans le même temps, concevoir et mettre en œuvre ; bricoler, c’est faire avec les ressources disponibles (Miner et al., 2001). Impossible, pour cerner ce concept de bricolage, d’oublier Claude Lévi-Strauss (1962).
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Le bricolage (Lévi-Strauss, 1960)
« Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son enjeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord», c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». De tels éléments sont donc à demi particularisés : suffisamment pour que le bricoleur n’ait pas besoin de l’équipement et du savoir de tous les corps d’état mais pas assez pour que chaque élément soit astreint à un emploi précis et déterminé. Chaque élément représente un ensemble de relations, à la fois concrètes et virtuelles ; ce sont des opérateurs, mais utilisables en vue d’opérations quelconques au sein d’un type »
« … l’ingénieur cherche toujours à s’ouvrir un passage et à se situer au delà, tandis que le bricoleur, de gré ou de force, demeure en deçà, ce qui est une autre façon de dire que le premier opère au moyen de concepts, le second au moyen de signes. »
Lévi-Strauss, 1962, p.27 et p.30
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Lévi-Strauss réalise ainsi la métaphore du bricolage intellectuel, en référence au bricolage pratique, pour comprendre la pensée mythique et est conduit à distinguer le bricoleur de l’ingénieur. Tandis que l’ingénieur mobilise des concepts abstraits pour concevoir un projet qu’il impose ou met en œuvre, le bricoleur combine les signes concrets de la situation pour interpréter en même temps qu’il observe dans un univers instrumental clos. C’est en cela qu’il fait avec les moyens du bord. Ceci dit, distinction ne veut pas dire opposition. L’ingénieur ne se transforme-t-il pas parfois en bricoleur ? Inversement, le bricoleur ne traverse-t-il pas des situations invitant à l’abstraction ?
Dans le domaine de l’entrepreneuriat, Baker et Nelson (2005) ont étudié 29 entreprises évoluant dans des contextes pauvres en ressources et ont constaté qu’elles bricolaient, c’est-à-dire qu’elles se débrouillaient avec ce qui était à leur portée. Les entreprises intéressant les auteurs ne sont pas celles connaissant une croissance importante et soutenues par tout un ensemble d’institutions à la quête de «gazelles », ou de « licornes » (notamment par les institutions du capital risque, mais également par celles du développement territorial). On concèdera aisément qu’il s’agit là de la très grande majorité des entreprises. Ces auteurs en appellent à une théorisation du bricolage entrepreneurial à laquelle leur texte veut participer. La même ambition ressort du travail de Desa et Basu (2013). Ils reprennent l’idée que le bricolage, en contexte d’entreprise, consiste à utiliser les ressources à « portée de main » pour créer un nouveau produit ou un nouveau service (cf. Baker et al. 2003 ; Baker et Nelson, 2005). Le domaine investi par ces auteurs est celui de l’entrepreneuriat social (leur échantillon est constitué de 202 entreprises technologiques de plus de 40 pays, cette base avait été précédemment utilisée par Desa, 2011), dont les entreprises fonctionneraient avec des contraintes plus fortes s’agissant de l’accès aux ressources (Desa, 2011).
Desa et Basu combinent deux perspectives théoriques, souvent présentées comme alternatives, qu’ils considèrent complémentaires. La théorie de la dépendance des ressources (Resource Dependent Theory, cf. Pfeffer et Salancik, 1978) met l’accent sur le pouvoir que peuvent avoir les fournisseurs de ressources et invite les firmes à contrôler leur dépendance en concevant des stratégies évitant l’asservissement. La théorie basée sur les ressources (Ressources Based View ; cf. Barney, 1991; Penrose, 1959 ; Wernerfelt, 1984), déjà évoquée dans la note 2.1, propose (en quelque sorte) aux firmes de combiner les ressources réunies en capacités à bien faire les choses et plus encore en compétences dans le but de créer un avantage compétitif. En combinant ces soubassements théoriques, Desa et Basu distiguent deux formes de bricolage : de nécessité ou idéal. Ainsi, le « bricolage par nécessité » réfère aux entreprises contraintes de composer avec ce qu’elles possèdent pour faire face à une situation imposée (il s’agit souvent de petites entités). « When practicing necessity-based bricolage, the venture satisfices by trying out solutions, reaching out to volunteers and other stakeholders, observing, learning, and dealing with results. » (Desa et Basu, 2013, p.44). Le « bricolage idéal » répond à un choix stratégique de l’organisation souhaitant stimuler la créativité et développer des capacités stratégiques. « We also uncover situations where bricolage may be undertaken out of choice rather than necessity. In highly munificent environments, prominent ventures may use an ideational form of bricolage, which helps integrate ideas and skills of a wider set of stakeholders, and may serve as a mechanism of strategic renewal. » (Ibid.). Le travail de recherche de Desa et Basu montre que les entreprises de leur échantillon mobilisent des ressources malgré la difficulté à y accéder. Le recours au bricolage s’exprime essentiellement dans les situations extrêmes de faible (bricolage de nécessité), ou a contrario de forte (bricolage idéal) munificence. La pertinence de cette distinction dans le bricolage (nécessité/stratégique) trouve des applications diverses. Pour illustrer, Jaouen et Nakara (2014) la reprennent pour étudier la mise en place d’un système d’information dans les micro-firmes (moins de 5 salariés).
Tandis qu’avec le plan d’affaires l’entrepreneur agit tel un ingénieur utilisant des concepts pour concevoir un projet qu’il impose à l’environnement, il devient un bricoleur (par nécessité ou par stratégie) lorsqu’il est conduit à pivoter et, conséquemment, lorsqu’il revoie (cf. redesign) son business avec l’outil BM. Certes, la réalité nuancerait le propos. Par exemple, s’agissant du plan d’affaires, sa réalisation est souvent, désormais, un exercice convenu par l’exigence de partenaires alors que sa construction relève sans aucun doute en partie du bricolage. Autre exemple, s’agissant justement du bricolage, le bricoleur n’a souvent pas de projet précis. Ceci dit, il y a ici un beau cadre de recherche, qui remettrait sans doute en cause les lectures de l’entrepreneuriat, voire de l’entreprise, par le projet lorsque celui-ci s’inscrit dans une perspective planificatrice.
A vous de jouer :
1/ Imaginer ou trouver un cas de bricolage par nécessité, un cas de bricolage idéal, un cas combinant les deux.
2/ L’improvisation est-elle une capacité réservée à l’ingénieur ou au bricoleur ?
3/ Discuter les avantages et les inconvénients de l’ingénieur puis du bricoleur.
4/ Est-ce que le fait de faire avec les moyens du bord limite la créativité par rapport à l’abstraction à laquelle recourt l’ingénieur ?
5/ Etes-vous ingénieur, bricoleur, ou les deux ?
Pour aller plus loin :
Baker, T, Miner, AS, Eesley, DT. (2003). « Improvising firms: bricolage, account giving and improvisational competencies in the founding process », Research Policy, 32(2), p.255– 276.
Baker, T, Nelson, R. (2005). «Creating something from nothing: resource construction through entrepreneurial bricolage », Administrative Science Quarterly, vol. 50, p.329–366.
Barney, J. (1991). « Firm resources and sustained competitive advantage ». Journal of Management, 17(1), p.99– 120.
Benavent, C., Verstraete, T. (2000). « Entrepreneuriat et NTIC – la construction du Business Model», in Verstraete, T. (dir), Histoire d’entreprendre – Les réalités de l’entrepreneuriat, Editions Management et Société.
Brown, S.L., Eisenhardt, K.M. (1997). « The Art of Continuous Change : Linking Complexity Theory and Time-Paced Evolution in Relentless Shifting Organizations», Administrative Science Quaterly, Vol. 42, p.1-34.
Desa, G. (2011). « Resource Mobilization in International Social Entrepreneurship: Bricolage as a Mechanism of Institutional Transformation », Entrepreneurship, Theory and Practice, 36(4), p.727-751.
Desa, G., Basu, S. (2013). « Optimization or bricolage ? Overcoming resource constraints in global social entrepreneurship », Strategic Entrepreneurship Journal, vol.7, p.26-49
Eisenhardt, K., Brown, S.L, (1998). « Time Pacing : Competing in markets that won’t stand still », Harvard Business Review, march-april, p59-69.
Jaouen, A., Nakara, W.A. (2014). « Les systèmes d’information en microfirme : une approche par le bricolage organisationnel », revue Internationale PME, 27(3-4), p.225-260.
Lévi-Strauss, C. (1962). La pensée sauvage, Plon.
Miner, A. S., Bassoff, P., Moorman, C. (2001). « Organizational Improvisation and Learning: A Field Study », Administrative Science Quarterly, 46(2), p.304-337.
Moorman, C., Miner, A.S. (1998)., « Organisational improvisation and organisational memory », Academy of Management Review, 23(4), p.1-20.
Penrose, E.T. (1959). The Theory of the Growth in the Firm, Blackwell : Oxford, U.K.
Pfeffer, J., Salancik, G.R. (1978). The External Control of Organizations : A Resource Dependence Perspective. Harper & Row: New York.
Verstraete, T. Saporta, B. (2006). Création d’entreprise et entrepreneuriat, Les Editions de l’Adreg ( )
Weick, K.E. (1979), The social psychology of organizing, Addison-Westley, 1979
Wernerfelt, B. (1984). « A resource-based view of the firm», Strategic Management Journal 5(2), p.171–180.
La promesse d’apporter de la valeur (cf. Proposition de valeur) est essentiellement faite aux clients et aux usagers 5.2. C’est d’abord à eux que la valeur est adressée et l’exercice de conviction consiste à faire partager cette croyance, construite sur une intuition mais appuyée par les méthodes idoines (cf. chapitre 5), aux autres possesseurs de ressources se transformant ainsi en parties prenantes. Toutefois, les processus de création de valeur ne peuvent éluder les échanges de valeur avec ces parties prenantes 6.13, par les politiques mises en place pour optimiser ces échanges avec eux, car ainsi les ressources captées ont plus de valeur et celle destinée au client en bénéficie. Certes, il faudrait ici convoquer la théorie des parties prenantes et revenir, entre autres, sur le débat valeur actionnariale / valeur partenariale, mais ce sera l’objet du chapitre dédié aux parties prenantes (10).
Cette note est ici succincte car les chapitres relatifs au Partage de la valeur reviendront bien évidemment sur ce thème si important dans notre conception de l’entrepreneuriat et du BM qui en est l’artefact. Impulser une organisation est une chose, la faire durer en est une autre. Pour que les processus imaginés dans le cadre de la Fabrication de la valeur puissent être pérennes, l’accès aux ressources qui les alimentent doit pouvoir s’inscrire dans la durée. Les parties prenantes détenant ces ressources devront être durablement satisfaites pour que leur implication se maintienne. L’optimisation des relations avec chacune de ces parties prenantes est dès lors fondamentale pour les porteurs de projets. La notion d’équilibre du système de valeur de l’organisation est important : si une seule catégorie de parties prenantes est systématiquement privilégiée au détriment des autres, la pérennité est questionnée.
Le terme « durable » évoque également la thématique du « développement durable » et invite l’entrepreneur à adopter une posture « raisonnée» quant au développement de son entreprise. La prise en compte de l’écosystème (chapitre 12) est très importante dans la définition des processus de l’organisation. L’accès aux ressources ne dépend pas que de la volonté des parties prenantes de les apporter (volonté alimentée grâce à la qualité des échanges de valeur proposés par l’entrepreneur) mais également de variables plus exogènes : pour qu’une partie prenante puisse apporter une ressource, encore faut-il que les conditions soient réunies pour que cette ressource existe toujours. Ainsi, l’évolution des filières industrielles, la question de l’accès aux ressources naturelles, la définition des politiques des états autour de ces dimensions, etc., sont autant de tendances auxquelles l’entrepreneur doit d’être vigilant.