Note 2.1 : Des ressources tangibles et des ressources intangibles
Note 2.2 : L’entrepreneuriat : un chemin jalonné de rencontres
Note 2.3 : Business Model, chemin faisant
Note 2.4 : Parties prenantes et parties concurrentes
Note 2.5 : Comprendre les attentes des parties prenantes
Note 2.6 : Pérennité = faire plaisir à tout le monde tout le temps..
Note 2.7 : Une conception écologique de l’entrepreneuriat
Note 2.8 : Gagnant – gagnant
Note 2.9 : La perspective conventionnaliste
Note 2.10 : La différence à faire entre la représentation du Business Model et le Business Model
Pour entreprendre, le créateur d’entreprise a besoin de ressources de tous types (par exemple des compétences, des savoir-faire, des matières premières ou des marchandises, un local, des machines, des ressources financières …). 2.1
Au départ de son aventure, le créateur d’entreprise ne possède pas toutes les ressources dont il a pourtant besoin pour réaliser son projet. Il va devoir s’approcher de ceux qui les possèdent (s’approcher du salarié pour le convaincre de travailler chez lui et qu’il apporte ainsi son temps de travail, son savoir-faire et ses compétences, s’approcher du fournisseur pour qu’il livre la marchandise, du banquier pour qu’il prête l’argent, etc.). 2.2
Cette liste de ressources n’apparaît pas spontanément et n’est jamais figée. Elle s’amende au fur et à mesure des rencontres et de la maturation du projet, mais aussi en fonction de l’ambition de ce dernier et de son évolution.
Un Business Model, c’est dynamique. 2.3
Il faut comprendre qu’on ne réussit jamais seul en affaires mais grâce aux partenaires du réseau apportant les ressources nécessaires au lancement du projet, puis à sa pérennité.
Pas de partenaire, pas de ressource ; pas de ressource, pas de projet.
Ces partenaires sont ce qu’on appelle des parties prenantes, ainsi nommées parce que ce sont différentes parties prenant part aux affaires par une relation d’échange. Ces parties peuvent être des personnes physiques (un individu) ou des personnes morales (une entreprise, une administration, une association, ou un individu représentant celle-ci). 2.4
Tout projet est en relation d’interdépendance avec ces parties prenantes car il faut échanger avec le partenaire apportant une ressource. Du point de vue de l’entreprise, un salaire et de bonnes conditions de travail rétribuent le travail d’un employé, un remboursement mensuel avec ajout des intérêts est prélevé pour le prêt consenti par le banquier, un produit est livré contre le paiement du client, etc. 2.5
Autrement dit, avec chaque partie prenante, un échange s’instaure. Le partenaire possède une ressource ayant de la valeur pour le projet, il faut lui apporter une ressource qui a de la valeur pour lui.
La relation est un échange de valeur et elle n’est durable que si chaque partenaire est satisfait, et le reste ; à défaut, il est perdu ou le sera. 2.6
Ainsi vu, l’entrepreneuriat est un acte fondamentalement partenarial car il faut que les valeurs échangées satisfassent l’ensemble des partenaires. 2.7
Les possesseurs de ressources doivent être convaincus sur l’ensemble des échanges prévus par l’entreprise imaginée (même s’il n’est pas utile qu’ils les connaissent intégralement). Il faut savoir leur raconter l’histoire de cette aventure qui s’écrit, chemin faisant, en y intégrant les relations gagnant-gagnant avec les partenaires. Ce qui veut dire que le créateur d’entreprise doit tenir compte, dans sa conception du business, des attentes de ceux qui possèdent les ressources. Dans le cas contraire, elles ne s’y retrouvent pas et ne prennent pas part aux affaires, donc n’apportent pas les ressources. 2.8
Le créateur d’entreprise porte alors un projet qui doit être partagé par des possesseurs de ressources participant, par leurs exigences et les relations à entretenir avec eux, à la représentation de ce que doit être le business.
Le « sens » des affaires n’émerge que parce que le Business Model est une représentation partagée du projet, c’est-à-dire qu’il y a un accord sur la façon dont le business est envisagé. Nous pensons plus précisément qu’il s’agit d’une convention engageant un collectif réuni autour du projet d’entreprendre, et dont l’entrepreneur a, à la fois, la charge et la représentation la plus complète. 2.9
Tant que celle-ci n’émerge pas, le propos n’est qu’une idée du modèle 2.10. Ce qui veut dire que pour être convainquant, il faut aller à la rencontre des possesseurs de ressources pour les transformer en parties prenantes, ce qui n’est possible qu’en intégrant, au modèle en construction, les attentes des partenaires qui, comprenant alors l’intérêt à partager la réussite, s’engageront.
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Il y a deux façons génériques de considérer la notion de ressource. La première relève du bon sens et du langage courant. Une ressource est un élément clé nécessaire à l’action (nourriture, argent, matière première, relation, savoir, etc.). La seconde est académique et s’appuie sur les théories publiées dans les revues scientifiques en management. Un ouvrage tout entier suffirait à peine pour procéder à un état de l’art en la matière. Les perspectives offertes par les ressources ouvrent des pistes de recherche multiples, engagées et publiées depuis des décennies. Les efforts de théorisation dans ce domaine comportent des nuances rendant d’ailleurs périlleuses les tentatives d’articulation des travaux, notamment pour expliquer comment une entreprise prend et développe un avantage concurrentiel sur la base de ses ressources. Qui plus est, les acceptions attribuées aux ressources sont variées, sans compter les autres mots pour les qualifier (actifs, compétences, …), à nouveau avec nuance.
A ce titre, cette note vise juste à apporter quelques éléments, car il paraît difficile d’ignorer les théories basées sur les ressources, quelques collègues s’y référant presque exclusivement dans leur théorie du Business Model (voir par exemple le modèle RCOV de Demil et Lecocq, 2010).
Au sein des travaux pouvant s’inscrire dans les courants de recherche sur les ressources, certains auteurs classifient celles-ci. Ainsi en est-il de Penrose (1959) lorsqu’elle distingue les ressources physiques et les ressources humaines, ou de Wernerfelt (1984) lorsqu’il parle d’actifs tangibles (ex : des machines pour la production) et d’actifs intangibles (ex : le talent managérial des décideurs), ou encore de Barney (1991) lorsqu’il regroupe les ressources en capital humain, en capital physique et en capital organisationnel. Leurs travaux ne se limitent toutefois pas à une classification.
Ainsi, Penrose adopte une position évolutionniste et s’intéresse aux déterminants de la croissance (notamment à l’entrepreneur). Elle considère les entreprises comme des ensembles de ressources et de services formés par ces ressources. La dynamique d’une entreprise est tirée par un but et poussée par l’organisation des ressources qu’elle détient pour l’atteindre. Dans une certaine mesure, on retrouve ici la distinction faite par Chandler (1962) entre stratégie et structure. La structure correspond à l’agencement des ressources appelées (captées) par la stratégie.
Selon Wernerfelt (1984), les ressources et les productions de l’entreprise sont les deux faces d’une même pièce. Il propose une matrice croisant les ressources mobilisées et les produits de l’entreprise pour mieux comprendre, à la fois, l’utilisation faite des ressources et identifier celles qu’il faudrait développer.
Barney (1991), quant à lui, met l’accent sur la notion d’avantage compétitif en insistant sur la nécessité de valoriser les ressources possédées (les marchés doivent percevoir et désirer les ressources), d’en faire des éléments à la fois distinctifs (peu de concurrents les ont développés, voire aucun), difficilement imitables et non substituables. La combinaison de ces quatre critères fait d’une ressource une compétence susceptible d’apporter un avantage compétitif.
Par rapport à une acception courante, ces travaux, certes, complexifient la notion de ressource, mais la rendent dans le même temps puissante pour la réflexion stratégique. Le non initié peinera à distinguer la ressource vue comme un intrant exploité par une organisation devant le magnifier (ex : une ressource humaine) de la ressource vue comme un produit de cet effort de coordination (ex : une force commerciale performante). Une autre critique, portée à l’encontre de l’approche par les ressources, concerne le caractère exceptionnel de celles-ci mis en avant par les travaux, alors que la stratégie doit généralement composer avec des ressources ordinaires.
Dans une autre veine, on lira avec intérêt les travaux de Pfeffer et Salancik (1978), relatifs à la théorie de la dépendance des ressources. Les auteurs expliquent que tout acteur d’un réseau inter-organisationnel est en relation de pouvoir et de dépendance avec les autres. Son besoin de ressources (travail, capital, matières premières, etc.) le place en situation de dépendance par rapport à son environnement et il doit développer des stratégies pour être, lui-même, le fournisseur de ressources nécessaires aux autres et ainsi avoir une part de pouvoir sur eux. Les stratégies possibles sont diverses : publicité pour rendre le consommateur dépendant ou au moins influencer son comportement d’achat, multiplier les sources d’approvisionnement, etc. Cette approche incite à combiner la perspective théorique des ressources avec celle des parties prenantes. Nous y reviendrons dans une prochaine note.
A vous de jouer :
1/ Au sens courant du terme, distinguer une liste de ressources tangibles et une liste de ressources intangibles nécessaires au lancement d’une entreprise (en prenant le cas de la création d’une crèche pour enfants, ou d’une entreprise de livraison de pizza à domicile, ou d’une fabrique de glaces artisanales, …).
2/ Au sens courant du terme, distinguer une liste de ressources tangibles et une liste de ressources intangibles nécessaires à la pérennité d’une entreprise.
3/ Au sens théorique du terme, donner des exemples de ressources constituant de véritables compétences (au sens de Barney) pour certaines entreprises que vous connaissez bien (une compétence = une ressources valorisable, distinctive, difficilement imitable, non substituable).
Pour aller plus loin :
Barney, J.B. (1991). « Firm Resources and Sustained Competitive Advantage », Journal of Management, 17: 1, 99-120.
Demil, B. et Lecocq, X. (2010). « Business Model evolution : in search of dynamic consistency », Long Range Planning, 43(2-3), 227-246
Penrose, E. (1959). The theory of the growth of the firm, Oxford: Basil Blackwell
Wernerfelt, B. (1984). « A Resource-based View of the Firm », Strategic Management Journal, Vol.5, n°2, 171-180
Fréry, F. Des stratégies extraordinaires avec des ressources très ordinaires, vidéo, Xerfi Canal TV (lien)
Pfeffer, J. et Salancik G.R. (1978). The External Control of Organizations: A Resource Dependence Perspective, New York, NY, Harper and Row.
Verstraete, T. ; Jouison-Laffitte E. (2011). « A conventionalist theory of the Business Model in the context of business creation for understanding organizational impetus », Management International, Volume 15 n°2, Hiver
Verstraete, T. ; Jouison-Laffitte E. (2007). Three theory to frame the concept of Business Model in contexte of firm foundation, International Council of Small Business, 52st World conference, Turku Finland, june, 2007
Audia et Rider (2005) ont produit un article rappelant une célèbre croyance populaire américaine : celle du garage. A l’origine de ce mythe, William Hewlett et David Packard conçoivent, dans leur garage, un oscillateur les ayant conduits à la création de la multinationale aujourd’hui bien connue. Ce garage a été consacré par une plaque le déclarant « Birthplace of Silicon Valley ». Il se situe en effet au 367 Addison Avenue à Palo Alto, non loin de l’Université de Stanford. Les auteurs expliquent que le garage est un symbole de l’image américaine de l’entrepreneuriat, de la liberté d’entreprendre, d’être son propre patron, etc. Apple, Cisco, Intel sont quelques autres emblèmes de ce rêve américain. Ce mythe est parfois cassé par les protagonistes eux-mêmes. Ainsi, Oeillet (2014) explique, dans un article paru en 2014 dans Clubic Mag, que Steve Wozniak précise que rien n’a été conçu ou fabriqué dans le garage des parents de Steve Jobs (et pourtant ce garage a été considéré comme un monument historique en 2013).
Avec ce mythe, l’idée que tout se conçoit dans une pièce est trompeuse. Il ne s’agit pas de dire que les idées d’affaires ou les phases de réflexion d’un projet ne peuvent se dérouler dans un espace clos, encore moins d’imaginer que les « héros » liés à ce mythe s’y sont cloitrés pour imaginer le business, mais nos pratiques ont trop montré que les immobiles peinent à avancer ou sont trop éloignés d’une symbiose avec les environnements visés. C’est dans l’interaction avec les acteurs de ces environnements que le projet se conçoit, se dessine et que l’entrepreneur peut rendre explicite la représentation d’un business autour duquel des parties prenantes vont se retrouver et apporter les ressources qui s’y cristalliseront. Les échanges font émerger une représentation partagée de ce business. L’entrepreneuriat appelle alors un mouvement vers ces acteurs, c’est ainsi que ce mouvement se déclenche et que le processus s’initie, qu’une organisation est impulsée (Verstraete, 2003, Verstraete et Jouison Laffitte, 2011). Tout séminaire de sensibilisation à l’entrepreneuriat doit à ce titre inciter les apprenants à interagir avec des acteurs de la simulation dans lequel le pédagogue gagne à les placer. 1.5
A vous de jouer :
1/ Rechercher des articles parlant du mythe du garage.
2/ Quels autres mythes peut-on identifier à propos de l’entrepreneur ?
3/ Quel sont les vertus et les écueils de mythes sur l’entrepreneur ?
Pour aller plus loin :
Œillet, A. (2014), « Steve Wozniak casse le mythe des débuts d’Apple dans un garage », Clubs Magazine, 2014 (lien)
Verstraete, T. (2003), Proposition d’un cadre théorique pour la recherche en entrepreneuriat, Editions de l’ADREG, décembre, ici en langue française ici en langue anglaise
Verstraete, T., Jouison-Laffitte E. (2011), « A conventionalist theory of the Business Model in the context of business creation for understanding organizational impetus », Management International, Volume 15 n°2, Hiver
Verstraete T., Néraudau G. et Jouison-Laffitte, E. (2016), Intégration des conventions dans l’analyse du Business Model : Etude de cas de l’entreprise créée par un Bad Boy, Jean-Luc Thunevin, XIIIe CIFEPME, (Congrès International Francophone sur sur l’entrepreneuriat et la PME), Trois-rivières, octobre
Audia, P.G., Rider C.I. (2005). « A garage and an Idea : What More Entrepreneur Need ? » California Management Review, 48 (1), 6-28.
Géo Trouvetou est un personnage génial. Il intrigue les enfants (et les plus grands …) abonnés au journal Mickey magazine. Les idées d’inventions lui viennent souvent soudainement, une ampoule symbolisant alors cette fulgurance. Il faut également remarquer que Géo Trouvetou est souvent accompagné, dans ses aventures, par Filament, un petit robot dont la tête est une ampoule. En Europe, le personnage Léonard (caricature de Léonard de Vinci) symbolise cette capacité à imaginer spontanément des inventions.
La réalité est moins spontanée et les idées initiales nécessitent d’être mise au point et travaillées, ce que le chapitre 5, relatif à la Proposition de Valeur, évoquera.
La conception (design) d’un Business Model se fait chemin faisant, au fur et à mesure des rencontres et nécessite de travailler à la fois chacune de ses composantes et les liens entre celles-ci. Ainsi, la représentation portée par le porteur se partage plus aisément, il convainc. En fait, la représentation se stabilise mais toute nouvelle rencontre ou tout évènement, ou encore tout choix de l’équipe dirigeante peut conduire à amender le Business Model. La représentation partagée relative aux affaires évolue. Néanmoins, il n’est pas si rare qu’une fois le projet effectivement lancée, il soit nécessaire de revenir sur le Business Model (redesign). Un Business Model, c’est dynamique.
Parfois, la confrontation de l’idée ou du produit au marché (avant, pendant ou après le lancement institutionnel effectif de l’entreprise) conduit à devoir changer de direction (l’un des sens donné par la note 1.3). On parle alors parfois de pivot, parfois de redesign, … (une prochaine note reviendra plus précisément sur ces notions).
Une partie prenante, stakeholder en anglais, est un partenaire potentiel ayant adhéré au projet en apportant à celui-ci ce qui est attendu dans la relation d’échange. Il peut s’agir d’un client, d’un salarié, d’un fournisseur, d’un actionnaire (shareholder en anglais), etc.
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« Edward Freeman et David Reed (1983) attribuent l’acception moderne du terme « stakeholder » à un mémorandum interne au Stanford Research Institute (en 1963) : les stakeholders sont les groupes sans le soutien desquels l’entreprise cesserait d’exister. Ils en proposent deux définitions. La première réfère aux proches parties : « tout individu ou groupe dont dépend la survie de l’organisation » (p.91). Cette conception étroite des parties prenantes regroupe les employés, les clients, les fournisseurs, les agences gouvernementales clés, les institutions financières, etc. La seconde est plus large : « tout individu ou groupe identifiable pouvant affecter l’atteinte des objectifs d’une organisation ou qui est affecté par l’atteinte des objectifs de cette organisation » (ibid.). Y sont inclus les groupements d’intérêt public, les agences gouvernementales, les employées, les clients, les actionnaires, les concurrents, les fournisseurs, etc.
Sur la base des définitions précédentes, Clarkson (1995) distingue deux catégories de parties prenantes : les primaires et les secondaires. La première englobe les groupes indispensables à la survie de l’entreprise (les actionnaires, les investisseurs, les employés, les clients, les fournisseurs, …). Une organisation est alors vue comme un ensemble de parties prenantes primaires possédant des intérêts singuliers en termes de règles, d’objectifs, de responsabilités. Elles sont servies par les relations complexes, directes ou indirectes, que la firme établit entre elles. L’ensemble tient par la valeur que l’entreprise sait apporter durablement à chaque groupe. Si l’un des groupes n’est plus satisfait, le système ne tient plus. La seconde catégorie définit les groupes influençant ou influencés par les décisions de la firme, mais n’étant pas inscrits dans une transaction essentielle à la survie de l’entité (groupe de pression, médias, assurance…). Par exemple, un groupe de cette catégorie peut mobiliser l’opinion publique à l’égard de l’entreprise. Si la survie de celle-ci n’est alors pas inéluctablement engagée, elle peut néanmoins dans certains cas être sérieusement questionnée. »
Repris de Verstraete et Jouison-Laffite, 2009
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En contexte de création d’entreprise, il est également possible de distinguer les parties prenantes utiles à la préparation et au lancement de l’affaire des parties prenantes nécessaires à la survie et au développement de l’entreprise.
Pour notre part, les parties prenantes regroupent les personnes physiques et les personnes morales (entreprise, administration, association, …), ou les personnes physiques représentant celles-ci, prenant part aux affaires. Par exemple, une potentielle recrue ne devient une partie prenante que lorsqu’elle a signé le contrat de travail et devient effectivement employée de l’organisation. L’actionnaire potentiel (ou l’organisme financier approché) ne prend part au affaires qu’avec et à partir de l’apport des fonds. Un fournisseur n’est une partie prenante que lorsqu’il est en relation d’affaires avec l’entreprise. Une administration est une partie prenante si elle est un contact incontournable. Un client est une partie prenante lorsqu’il achète ou a acheté, etc. Avant de s’engager, une partie prenante n’est qu’un possesseur de ressources.
Selon notre conception des parties prenantes, un concurrent n’est pas une partie prenante, c’est une partie concurrente. Certes, lors d’une opération de type joint-venture, les concurrents travaillant ensemble sur un projet sont, pour celui-ci, des parties prenantes les unes pour les autres. La question de la qualification d’un concurrent comme partie prenante se pose dans le cadre des contextes où la « coopétition » est forte. La coopétition dépasse l’opposition entre la relation concurrentielle et la relation partenariale. La coopétition est une relation combinant concurrence et coopération ; elle est souvent présentée comme une stratégie à adopter dans le cadre de la préservation d’une rente.
A vous de jouer :
1/ Repérer des cas de coopérations entre concurrents (il ne s’agit évidemment pas d’ententes illicites) ?
2/ La famille est-elle toujours une partie prenante ?
3/ Donner des exemples de parties prenantes au lancement de l’affaire, puis des exemples de parties prenantes à sa pérennité ? Ces deux listes comportent-elles des parties prenantes identiques ?
Pour aller plus loin :
Bengtsson, M. Kock S. (2000), « Coopetition in business networks – to cooperate and compete simultaneously », Industrial Marketing Management, 29(5)
Clarkson M.B.E. (1995), « A Stakeholder Framework for Analysing Corporate Social Performance », Academy of Management Review, 20(1)
Cusin, J, Loubaresse, E. et Charreire-Petit. S. (2013), « Analyse d’une dynamique de coopétition conflictuelle : l’affaire du classement 2006 des vins de l’AOC Saint-Émilion », Revue Internationale PME, 25(2)
Dagnino, G.B. Le Roy, F. et Yami S., (2007), « La dynamique des stratégies de coopétition », Revue Française de Gestion, numéro 176
Freeman, R. E., Reed D., (1983), « Stockholders and Stakeholders : A New Perspective on Corporate Governance », California Management Review, 25 (3)
Grant, R., (1991), « The Resource-Based Theory of Competitive Advantage : Implication for Strategy Formulation », California Management Review, 33(3)
Verstraete T., Jouison-Laffitte E., (2009), Business Model pour entreprendre, De Boeck
Pour comprendre les attentes des parties prenantes, il faut les rencontrer, idéalement physiquement s’agissant des plus importantes, même si les moyens modernes de communication offrent désormais des alternatives intéressantes. Seule cette interaction permet de cerner les attentes de l’autre. Une des premières qualités d’un entrepreneur, comme tout être social, est l’empathie. Il s’agit, dans son acception vulgarisée, d’une faculté à comprendre l’autre en imaginant prendre sa place, ou au moins son point de vue.
Pour illustrer, lors d’une première expérience entrepreneuriale, un créateur pourrait être tenté de croire qu’un fournisseur est uniquement intéressé par le paiement des matières ou des produits livrés et le délai afférent. Or, à côté de ces échanges pouvant être qualifiés de normaux, entre un client et son fournisseur, et tout en restant évidemment dans l’éthique des affaires, bien d’autres dimensions interviennent dans les relations d’affaires (identiquement avec toutes les parties prenantes). Par exemple, un fournisseur peut être intéressé par la contribution d’un distributeur à l’image de ses produits. Le chapitre 10, relatif aux parties prenantes, revient sur ce point.
A vous de jouer :
1/ Outre une rémunération contre son travail, imaginer les attentes d’un postulant à un emploi pour le convaincre de signer le contrat de travail chez vous, et pas chez le concurrent qui le courtise.
2/ Les attentes des parties prenantes sont-elles toujours compatibles ?
C’est certes facile à dire, mais sous réserve d’apporter durablement à chaque partenaire ce qu’il attend, il n’y a pas de raison que les affaires s’arrêtent. Toutefois, la recherche d’un équilibre à construire entre les attentes des uns et celles des autres n’est pas une mince affaire. Il est rarement possible de répondre totalement à tous les souhaits, voire aux exigences (ce point pouvant conduire à choisir les partenaires). Il faut dire que parfois les tensions résultant des attentes formulées peuvent placer l’entreprise en situation délicate. Par exemple, les comptables alertent sur certains problèmes découlant d’un paiement précoce des fournisseurs alors que les clients souhaitent de leur côté payer l’entreprise le plus tard possible (notamment en B to B). Répondre totalement aux attentes de ces deux protagonistes des affaires risque de placer l’entreprise en situation délicate sur le plan de la trésorerie puisque, dans une certaine mesure, elle avance l’argent au client (le développement de ce point conduit au Besoin en Fond de Roulement, qui sera abordé dans une autre note). Les tensions n’ont pas toujours d’expression comptable aussi flagrante, mais peuvent parfois plus insidieusement affecter les résultats.
A vous de jouer :
1/ Relever des situations où l’entrepreneur peut se retrouver tiraillé entre les exigences de deux parties prenantes exprimant des attentes en apparence opposées.
2/ Quels peuvent être les éléments d’arbitrage.
La revendication d’une telle conception peut paraître exagérée, mais elle pourrait tout à fait faire l’objet d’un essai auquel nous nous attacherons prochainement.
L’écologie fait soit penser à une science de l’environnement, soit à un positionnement politique éventuellement partisan. C’est aussi, pour ce qui nous intéresse ici, un état d’esprit s’agissant des relations à entretenir avec autrui.
L’interaction d’un organisme vivant avec d’autres organismes peut être libre ou parasité. Dans ce second cas, on peut distinguer trois formes de relation entre un hôte et un parasite : la symbiose, le parasitisme et le commensalisme. Dans ce dernier cas, l’hôte voit une partie de ses ressources détournée par son parasite. Ce dernier ne va pas nuire outre-mesure à son hôte dont il a besoin pour sa survie. Il peut y avoir, dans une certaine mesure, une forme de tolérance de l’hôte. Dans le cadre d’un parasitisme, la nuisance est forte. L’hôte est sensiblement affaibli et peut mourir. Lorsque la relation est symbiotique, la relation apporte aux deux organismes interagissant.
Nous sommes convaincus que l’entrepreneuriat est doit être une relation de type symbiotique entre un entrepreneur et l’organisation impulsée par lui (Verstraete, 2001, 2003). Il est plus délicat d’affirmer qu’elle l’est effectivement, car force est de constater des formes déviantes, où certains projets tirent parti d’une relation sans lui apporter en échange, du moins sans lui apporter suffisamment par rapport à la ressource obtenue.
L’entrepreneuriat est un phénomène fondamentalement partenarial car sans partenaire, pas de ressource et sans ressource, pas de projet. Mais plus encore, et certes selon une certaine éthique des affaires, les stratégies gagnant-gagnant à mettre en place avec les parties prenantes appellent une relation symbiotique. Le porteur de projet cherchera ce type de relation durable. Nous y reviendrons lors des chapitres sur les parties prenantes (chapitre 10) et sur l’écosystème (chapitre 12).
A vous de jouer :
1/ Donner des exemples concrets de commensalisme, parasitisme et symbiose observables dans la nature.
2/ Penser à des exemples concrets de commensalisme, parasitisme et symbiose observable dans les relations humaines (que ce soit dans la sphère personnelle ou dans la sphère professionnelle).
Pour aller plus loin :
Verstraete T., 2001, Le phénomène entrepreneurial, Revue de l’Entrepreneuriat, 1(1) (lien)
Verstraete T., 2003, Proposition d’un cadre théorique pour la recherche en entrepreneuriat :
PhE = f [ (C x S x P) (E x O) ], Editions de l’ADREG, décembre, (ISBN 2-9518007-6-2) (lien)
Dans un échange gagnant-gagnant, chacun des protagonistes obtient ce qu’il attend de la relation avec les autres. Au pire, il n’est pas davantage lésé que ces derniers si la situation ne permet pas à chacun d’obtenir ce qu’il espérait. Dans ce cas, une nouvelle négociation s’impose, généralement pour redéfinir les relations.
L’expression anglaise « win-win » est souvent attribuée à Thomas Gordon, un psychologue américain ayant notamment travaillé sur la relation parents-enfants, la notion en découlant ayant été appliquée au domaine du management.
A vous de jouer :
1/ Quand peut-on dire qu’une relation n’est plus gagnant-gagnant ?
2/ Est-il possible d’encadrer légalement une relation gagnant-gagnant ?
3/ Avez-vous une ou plusieurs expériences heureuses ou malheureuses de relations soi-disant gagnant-gagnant ? Les situations malheureuses auraient-elles pu être évitées ? Comment ?
Notre conception du BM s’inspire d’une perspective conventionnaliste trouvant son émergence dans la sortie de La Revue Economique de mars 1989. Ce numéro a, en quelque sorte, lancé « l’économie des conventions ». Cette impulsion dans une revue française peut, en partie, expliquer qu’elle soit davantage prisée par les chercheurs français et moins mobilisée par le reste du monde. Selon nous, le BM est par nature une convention. Cette note appelle des développements que nous économiserons au regard de l’objectif du manuel. Le lecteur intéressé pourra en prendre connaissance en lisant les références proposées. L’extrait ci-contre provient d’un article à paraître dans la Revue Internationale PME (l’une des deux grandes revues dédiées à la publication d’articles scientifiques, en langue française, dans le domaine de l’entrepreneuriat, et dans le domaine de la PME).
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« Au sein de chaque espace social plus ou moins formellement circonscrit (un club sportif, une entreprise, etc.), des critères sont perceptibles afin qu’un nouveau-venu puisse le comprendre et se comporter en conformité avec les régimes d’instructions qui organise cet univers social particulier. Nizet (dans un document de travail non daté) prend un intéressant exemple : « Mme X, fraîchement diplômée en marketing, vient d’être engagée dans les services commerciaux d’une entreprise. Elle est présente dans l’entreprise pour son premier jour de travail. A quelle heure va-t-elle quitter le bureau en fin de journée ? ». Il montre ensuite que des repères explicites (ex : le chef du service communique l’heure de fin de journée, ou parce qu’elle est restée tard madame X constate que son excès de zèle l’a placée en difficulté pour sortir du bâtiment car la plupart des issues ont été fermées, …) peuvent se combiner à des critères plus implicites (madame X voit ses collègues se lever à partir de 18h pour quitter le bureau).
Il serait également ici possible de prendre l’exemple des conventions des milieux scientifiques relativement à la publication, dont l’évaluation à l’aveugle oriente le comportement des auteurs et des évaluateurs.
Les repères permettant l’identification des conventions ne sont pas toujours aisés à percevoir car ne se présentant pas forcément spontanément. Cette difficulté peut être embarrassante car le non-respect d’une convention peut conduire à une sanction (en référence aux deux exemples précédents, respectivement le rejet de madame X par les autres salariés, le rejet du texte proposé à une revue).
De manière plus générale, la convention peut être vue comme le résultat d’une combinaison entre des actions individuelles et un cadre collectif contraignant les sujets (Dupuy et al., 1989). Cette contrainte offre un certain confort lorsqu’il s’agit de décider en situation d’incertitude. En effet, l’individu tend à opter pour un comportement qu’il pense conforme.
Cette interprétation de conformité découle de schémas cognitifs ayant pu se construire par l’expérience des réseaux côtoyés, toute immersion dans un collectif renseignant sur les conventions des espaces sociaux traversés. Ces derniers sont émaillés de critères informatifs aidant l’individu à se repérer, c’est-à-dire à ajuster son comportement pour y évoluer. Autrement dit, la coordination des acteurs est régulée par des croyances s’agissant du comportement des autres (Orléan, 1994). Cette perspective répond ainsi à la gestion de l’incertitude en laissant à l’acteur la possibilité de décider de son comportement en fonction de ses capacités cognitives ou de ses motivations. Mais il est également orienté par une représentation plus collective régulant les mouvements économiques et sociaux. Ceci dit, toute convention se heurte à d’autres conventions, parfois concurrentes (Gomez et Jones, 2000). Les conventions diffèrent dans leur contenu tout en se référant à un cadre plus large (ibid) . Les acteurs peuvent mobiliser une pluralité de conventions pour justifier leur comportement (Boltanski et Thévenot, 1987 ; Diaz-Bone et Thévenot, 2010). « Les acteurs peuvent réfléchir sur l’utilisation des conventions et les conventions sont, d’un point de vue pragmatique, le résultat d’expériences collectives sur les possibilités de coordination face à des problèmes collectifs. » (Diaz-Bone et Thévenot, 2010, §11). La perspective conventionnaliste prend ainsi appui sur des soubassements cognitifs. En effet, une forme de représentation collective surplombe les actions des individus qui restent néanmoins libres de se comporter plus ou moins conformément au cadre conventionnel dans leur régime d’action. Dans les faits, tout un ensemble de facteurs intervient pour stabiliser une façon de faire, laquelle, en devenant accessible et en étant communément acceptée comme conventionnelle, conduit les individus à s’y référer ou à y recourir pour justifier leur comportement. Le concept de convention dépasse néanmoins l’habitude, l’usage ou la coutume (Diaz-Bone et Thévenot, 2010). Notamment, l’engagement dans l’action n’est pas automatique mais plutôt réflexif, action pour laquelle l’acteur s’inscrit dans un système dynamique de choix.
A ce stade du développement, on note donc que les conventions posent un référentiel structurant, mais que les acteurs gardent une intelligence pragmatique au sein des situations traversées. Autrement dit, les conventions, les situations et les acteurs participent aux dynamiques collectives et la perspective conventionnaliste, au sein de ce triptyque, pose des référentiels pouvant aider à l’identification des conventions. Par exemple, selon Eymard-Duvernay et al. (2006), l’économie des conventions réunit trois thèmes : les valeurs, la coordination et la rationalité. Quant à Gomez (1999), il place la convention dans une problématique combinant l’incertitude, la rationalité et le mimétisme.
Partant de l’ouvrage de Boltanski et Thévenot (1987), Diaz-Bole et Thévenot (2010) considèrent trois thèmes majeurs : l’épreuve et l’incertitude qui lui est associée, la qualification des personnes et des choses empruntées au droit (« la qualification des faits est nécessaire pour qu’ils soient pris en compte dans l’application de la loi », §6), le bien commun (entre autres pour reconnaître la place de l’évaluation dans la coordination des actions). Ces différentes approches s’articulent sans difficulté et offrent une possible lecture de l’acte entrepreneurial. » (Verstraete et al, à paraître)
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La suite de l’article plaque cette perspective à l’acte entrepreneurial puis à un cas concret.
Sur la plateforme GRP Lab, GRP Team a préféré définir la nature du BM comme une représentation partagée. Cette entrave à notre ancrage théorique conventionnaliste pour expliquer la nature du BM ne gêne pas la mobilisation pratique du concept. Le chercheur doit accepter que la vulgarisation, sans dénaturer son propos, subisse les lois de la médiation.
On retiendra, ici, que l’entrepreneur doit intégrer les attentes des parties prenantes au projet dans la conception du business, lequel se dessine chemin faisant, au fur et à mesure des rencontres, des réflexions, des actions, des ressources mobilisables, des motivations, etc. Ainsi, et puisque c’est lui qui porte le projet, l’entrepreneur en possède la représentation la plus complète, ayant eu à la faire partager à ses parties prenantes avec lesquelles une convention prend forme (elle se confrontera aux conventions des espaces sociaux traversés comme nous le verrons dans le chapitre 11).
Pour aller plus loin :
Boltanski, L. Thévenot, L. (1987). Les économies de la grandeur, Cahiers du centre d’études de l’emploi, Paris, Presses Universitaires de France.
Diaz-Bone, R. Thévenot, L. (2010). « La théorie des conventions, élément central des nouvelles sciences sociales françaises », trivium – revue franco-allemande de sciences humaines et sociales, 5 – Document en ligne. Récupéré le 3 janvier 2016) (lien)
Dupuy, J-P. Eymard-Duvernay, F. Favereau O. Orléan, A, Salais, R. et Thévenot, L. 1989, Revue Economique, 2(40), Mars.
Eymard-Duvernay, F. (dir.) (2006). L’économie des conventions, méthodes et résultats, Tome 1 – Débats, Paris : La Découverte.
Gomez, P.-Y. Jones, B.C. (2000). « Conventions : an interpretation of deep structure in organization », Organization Science, 11(6), 696-708.
Nizet, J., Théorie des conventions, document de travail des Facultés Universitaires de Namur, Belgique
Orléan, A. (1994). Analyse économique des conventions, Paris:Presses Universitaires de France.
Verstraete, T., Jouison-Laffitte, E. (2009) Business Model pour entreprendre – le modèle GRP : théorie et pratique, de Boeck Université
Verstraete, T., Jouison-Laffitte, E. (2011) A Business Model for Entrepreneurship, Edward Elgar
Verstraete, T., Jouison-Laffitte, E. (2011), « A conventionalist theory of the Business Model in the context of business creation for understanding organizational impetus », Management International, Volume 15 n°2, Hiver
Verstraete T., Néraudau G. et Jouison-Laffitte, E. (2016), « Intégration des conventions dans l’analyse du Business Model : Etude de cas de l’entreprise créée par un Bad Boy, Jean-Luc Thunevin », XIIIe CIFEPME, (Congrès International Francophone sur l’entrepreneuriat et la PME), Trois-Rivières, octobre
Verstraete T., Néraudau G. et Jouison-Laffitte, E. (2017), « Lecture conventionnaliste du cas des Etablissements Thunevin », Revue Internationale PME, article accepté à paraître
Verstraete, T. Krémer, F. et G. Néraudau (2016), « Comprendre les conventions pour mieux concevoir son Business Model : les enseignements d’une recherche-action pédagogique utilisant le cinéma », XIIIe CIFEPME (Congrès International Francophone sur l’entrepreneuriat et la PME), Trois-Rivières, octobre, 2016
Tout entrepreneur doit admettre une différence entre la réalité et la représentation qu’il s’en fait. Tout passant par ses schémas d’interprétation, sa représentation d’un objet (ici le BM) porte leur empreinte. Le schéma est un concept important en psychologie cognitive : « Un schéma est une représentation cognitive qui spécifie les propriétés générales d’un type d’objet, d’événement ou de structure et laisse de côté les détails qui ne sont pas pertinents pour caractériser le type. Un schéma est donc une abstraction qui permet d’assigner à des catégories générales certaines spécifications … En éliminant les détails, le schéma permet la catégorisation, puis la pensée et l’action fondée sur cette catégorisation » (Weill-Barais, 1993).
Qui plus est, le BM étant un artefact, c’est-à-dire à la fois un objet inventé par l’homme pour désigner (signification) ou accéder (instrument) à une réalité, on ne peut pas considérer qu’un BM existe en dehors de l’esprit l’imaginant, l’interprétant, l’utilisant, etc. même lorsqu’il est mobilisé comme un outil pour l’identifier ou le représenter sous une forme narrative, graphique, mathématique, etc. 1.6
Cette représentation est un schème cognitif plus ou moins explicitement partagé par un collectif y adhérant (cf. convention). En d’autres termes, il s’agit de donner de la signification, celle-ci composant les règles causant le comportement humain (Searle, 1985).
Dans le contexte d’une création d’entreprise ex-nihilo, la réalité de celle-ci est à construire … Le BM aide à en dessiner les contours, à en alimenter le contenu lorsqu’il engage l’entrepreneur dans l’action afférente, etc. Cette action le conduit à rencontrer des parties prenantes et c’est ainsi que se construit la représentation partagée ou la convention indiquant à chacun la conduite à tenir pour la réussite du projet. Certes, l’entrepreneur est celui qui possède la représentation la plus complète du BM, autant lors de la phase de conception que lors de sa réalisation, c’est-à-dire lorsqu’il tente de rendre l’environnement (dont le projet fait partie) congruent à la représentation qu’il s’en fait. Par analogie, il est possible de convoquer la figure de l’architecte qui conçoit le modèle et le fait mettre en œuvre. Partant de ses connaissances et de celles des protagonistes du projet, il propose une maquette matérialisant sa représentation (tenant compte des attentes des dits protagonistes) et, lorsqu’elle est validée, il organise la mise en œuvre de la construction concrète. Le BM est une maquette lorsqu’on imagine le BM, sa matérialisation pouvant prendre différentes formes (un poster, un storyboard, un script, une carte mentale, etc.), c’est une représentation partagée lorsqu’il se met en œuvre, la construction de cette représentation s’enclenchant en fait bien en amont puisque dans le cadre d’un projet entrepreneurial, la frontière entre la conception et la mise en œuvre est souvent particulièrement floue.
A vous de jouer :
1/ Peut-on croire qu’un Business Model se déploiera toujours selon la représentation que l’entrepreneur en a ?
2/ Quelles peuvent être les causes d’une différence entre la représentation que l’entrepreneur a du Business Model et une lecture totalement objective (si tant est que ce soit possible) du Business Model ?
Pour aller plus loin :
Searle, J. R., (1985), Du cerveau au savoir, Hermann éditeurs, collection Savoir
Weil-Barais, A., (1993), L’homme Cognitif, Presses Universitaires de France